Un rapport interne torture l’armée américaine

Un rapport interne torture l’armée américaine

Les témoignages se multiplient sur le caractère systématique des sévices en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo.

Par Fabrice ROUSSELOT

jeudi 27 mai 2004 (Liberation - 06:00)

New York de notre correspondant

’est un rapport dont le Pentagone se serait bien passé. Une enquête interne à l’armée, datée du 6 mai, qui confirme toutes les présomptions selon lesquelles les abus perpétrés contre les prisonniers par les forces américaines en Irak et en Afghanistan sont beaucoup plus importants que l’administration Bush ne veut l’admettre. Publié hier par le New York Times, le document « confidentiel », rédigé à la demande de la hiérarchie militaire après la publication des premières photos des sévices à la prison d’Abou Ghraib, détaille une série de mauvais traitements qui sont intervenus dès le 15 avril 2003 en Irak, quelques jours après l’arrivée des troupes de la coalition à Bagdad. Pour la première fois, il implique des commandos de l’US Navy, tenus responsables de la mort d’un détenu le mois dernier. Selon les enquêteurs, celui ci aurait succombé suite « à un fort coup porté au torse et à une asphyxie ».

En quelques pages, le document vient contredire la version des faits livrée lundi soir par George W. Bush, lors de son intervention devant un collège militaire de Pennsylvanie. Le Président avait évoqué « les actions de quelques soldats qui n’ont aucun respect pour [leur] pays et pour [leurs] valeurs ». Le texte, au contraire, décrit une pratique systématique de violences à l’égard des détenus. Parmi les faits nouveaux, la mise au jour de sévices opérés au printemps dernier à Samarra, au nord de Bagdad, par une unité de la garde nationale rattachée à la troisième division d’infanterie. Pendant dix semaines, les soldats auraient « eu recours à la force, employant des techniques d’asphyxie envers de nombreux détenus afin d’obtenir des informations ».

Le rapport ne se contente pas de dénoncer les abus en Irak, mais revient également sur plusieurs « incidents » survenus en Afghanistan. En décembre 2002, un prisonnier serait mort « après avoir subi des violences répétées » de la part de membres des renseignements militaires. Au total, 37 morts de prisonniers sont répertoriées en Irak et en Afghanistan ­ le Pentagone avait pour sa part cité le chiffre de 25 morts ­, et le document précise que « dans une majorité de cas » l’armée a choisi de ne pas pratiquer d’autopsies pour déterminer les causes des décès.

Ces révélations ont réalimenté le débat à Washington sur les responsabilités de la chaîne de commandement militaire dans les abus pratiqués par les forces de la coalition. Hier, de surcroît, le Washington Post a publié un nouveau témoignage accablant. Celui du colonel Thomas Pappas, chargé du renseignement à Abou Ghraib, assurant que plusieurs techniques d’interrogatoire, dont le recours à des chiens d’attaque, ont été suggérées et encouragées l’année dernière par le général Geoffrey Miller, l’officier actuellement en charge de la prison irakienne et qui se trouvait à Guantanamo à l’époque. Pappas souligne que ces techniques « avaient été approuvées » par le général Ricardo Sanchez, le commandant des troupes américaines en Irak, dont tout le monde dit qu’il sera bientôt remplacé. Réagissant par la voix d’un porte-parole, Miller a démenti hier « avoir discuté des interrogatoires » avec le colonel Pappas.