La coalition des mercenaires

Les occupants claquent des millions dans une armée privée chargée de la sécurité par Robert Fisk et Severin Carrell The Independent (Grande-Bretagne) Le 29 mars 2004

Une armée de plusieurs milliers de mercenaires a fait son apparition dans les grandes villes irakiennes. La plupart de ces hommes sont d’anciens militaires britanniques et américains recrutés par les autorités occupantes anglo-américaines et par des douzaines de sociétés craignant pour la vie de leur personnel.

Nombre des Britanniques armés sont d’anciens membres des SAS et des Sud-Africains lourdement armés travaillent également pour l’occupation. « Les hommes savent se servir d’armes et tous sont des SAS », a déclaré le responsable britannique d’une équipe de sécurité opérant dans la partie sud de Bagdad. « Mais il y a aussi des gens qui se baladent avec des armes et qui ne sont rien d’autres que des cow-boys. Nous dissimulons toujours nos armes, mais ces gars s’imaginent qu’ils sont dans un film d’Hollywood. » Il existe des doutes sérieux, même au sein du pouvoir d’occupation, à propos du choix américain d’envoyer des mercenaires chiliens, dont beaucoup ont été formés sous l’infâme dictature du général Pinochet, pour garder l’aéroport de Bagdad. Bien des Sud-Africians sont en Irak illégalement - ils violent ainsi les nouvelles lois adoptées par le gouvernement de Pretoria afin de contrôler l’exportation sans cesse croissante de mercenaires sud-africains. Bon nombre d’entre eux ont été arrêtés à leur retour : ils ne possèdent pas la licence aujourd’hui réclamée aux soldats privés. Les pertes parmi les mercenaires ne sont pas comprises dans le décompte officiel des morts effectué par les autorités d’occupation, et cela peut expliquer les soupçons permanents des Irakiens qui estiment que les Etats-Unis sous-estiment leurs pertes militaires en morts et blessés. Certains experts britanniques prétendent que les unités de police privée constituent aujourd’hui les plus importantes exportations britanniques en Irak - cette augmentation étant provoquée par la multiplication des attentats à la bombe contre les forces de la coalition, les organisations d’aide et les bâtiments des Nations unies depuis la fin officielle de la guerre, en mai dernier. De nombreuses sociétés opèrent à partir de villas situés dans les quartiers de la clase moyenne de Bagdad, villas dont les portes n’affichent aucun nom. Certains argents de la sécurité prétendent qu’ils peuvent ainsi gagner plus de 80.000 livres par an. Mais un travail de mercenaire à court terme et à haut risque peut rapporter beaucoup plus. Le personnel de sécurité travaillant sous contrat de sept jours dans des villes comme Fallujah peut se faire 1.000 dollars par jour. Bien qu’ils ne portent pas d’uniformes, certains agent de sécurité portent une identification personnelle sur leurs gilets de protections, en plus de leurs fusils et pistolets. D’autres refusent de décliner leur identité, même dans les hôtels, ils boivent de la bière en bande, leurs armes à leurs pieds. Dans plusieurs hôtels, clients et personnel se sont plaints de ce que ces agents de sécurité avaient organisé des beuveries et un directeur a même été forcé de faire savoir aux mercenaires se trouvant dans son hôtel qu’ils devaient porter leurs armes dans un sac quand ils quittaient les lieux. Sa demande est restée lettre morte. Un directeur de société britannique, David Claridge, de l’agence de sécurité Janusian, a estimé que les firmes britanniques ont empoché quelque 800 millions de livres avec leurs contrats en Irak, et ce, une année à peine après le début de l’invasion. Une firme gérée par des Britanniques, Erinys, emploie 14.000 Irakiens comme veilleurs et gardes de sécurité afin de protéger les gisements de pétrole et les pipelines. Le recours à des sociétés privées pour la sécurité a soulevé pas mal de ressentiments chez les travailleurs du Département de l’Aide Internationale au Développement (DAID), qui craignent que la chose ne sape la confiance des civils irakiens. « L’équipe du DAID préférerait ne pas avoir ça », a déclaré quelqu’un. « Il est beaucoup plus facile pour eux de faire leur boulot sans sécurité visible, mais les risques pour la sécurité sont très grands, là-bas. » Une société gérée par des Sud-Africains, Meteoric Tactical Solutions, a un contrat de 270.000 livres avec le DAID qui, a-t-il été convenu, consiste à fournir des gardes du corps et des chauffeurs à la plupart de ses fonctionnaires de haut rang en Irak, ainsi qu’à leur personnel subalterne. Une autre société britannique, ArmorGroup, a un contrat de 876.000 livres pour la fourniture de 20 agents de sécurité au Foreign Office. Ce chiffre connaîtra une majoration de 50% en juillet. La firme emploie également quelque 500 Gurkhas pour protéger les cadres et personnes importantes gravitant autour des firmes américaines Bechtel and Kellogg Brown & Root. Des parlementaires de l’opposition ont été heurtés par l’ampleur de l’utilisation par le gouvernement de firmes privées pour protéger les fonctionnaires civils britanniques et ils ont affirmé qu’il s’agissait d’une preuve de plus de ce que l’armée britannique était trop petite pour assumer les tâches qu’on lui confiait. Menzies Campbell, le porte-parole démocrate libéral des Affaires étrangères, a déclaré : « Cela suggère que les forces britanniques sont incapables de fournir une protection adéquate et cela soulève en même temps le problème très controversé de la ’sur-extension’, et plus précisément à la lumière des remarques émises par le chef de l’état-major de la défense, qui disait, la semaine dernière, que la Grande-Bretagne ne pourrait organiser d’autre opération à l’échelle de l’Irak durant au moins cinq ans. » Andrew Robathan, un parlementaire conservateur présent dans la commission de sélection du développement international et lui-même ancien officier des SAS, a déclaré : « L’armée ne dispose pas des troupes pour assumer des gardes statiques de cette ampleur. A coup sûr, il aurait été meilleur marché d’avoir un autre bataillon de militaires pour fournir des gardes. » La plus grosse firme privée britannique de sécurité en Irak, Global Risk Strategies, assiste les autorités provisoires de la coalition et l’administration irakienne à rédiger de nouvelles réglementations. On s’attend à ce qu’elle augmente ses effectifs sur place, les faisant passer de 1.000 hommes à 1.200, au cours de ce printemps, voire à 1.800 au cours de cette année. Toutefois, les montants mêmes de l’aide caritative sont fortement perturbés par les sommes dépensées en sécurité, puisque le DAID a dû prélever 278 millions de livres sur son budget général d’aide à la reconstruction en Irak. Dominic Nutt, de Christian Aid (Aide chrétienne) a déclaré : « Ca nous reste en travers de la gorge. Il est normal que le DAID protège ses effectifs, mais c’est comme si on volait Pierre pour payer Paul. »