Les pacifistes américains dans les rues de Washington

« L’escalade en Irak ? Sens interdit », proclamaient les banderoles, tandis que la foule reprenait en choeur : « Ramenez les troupes maintenant ! ». Venus de tous les États-Unis, des dizaines de milliers de personnes opposées à la poursuite de la guerre en Irak et, a fortiori, à l’escalade programmée par l’administration Bush ont défilé, des heures durant, samedi dans le centre de Washington vers le Capitole, siège du Congrès. Les organisations antiguerre qui ont réussi là leur plus grand rassemblement, selon la plupart des observateurs, depuis les manifestations de septembre 2005 (plus de 100 000 personnes s’étaient alors retrouvées dans les rues de la capitale fédérale), s’adressaient en tout premier lieu aux parlementaires, et tout particulièrement à ceux de la nouvelle majorité démocrate. C’est-à-dire à ceux qui ont été élus en surfant précisément sur la vague de rejet de la guerre, devenue largement majoritaire dans l’opinion lors des récentes élections du midterm. respecter le choix des citoyens Interpellant ces nouveaux élus, les participants à cette « marche de Washington » leur ont signifié que la masse des citoyens avait voté dans un sens très clair et voulaient maintenant que leur choix soit respecté. Ils rejoignaient un peu, selon l’allusion malicieuse de quelques responsables d’associations, la démarche des manifestants des pays de l’Est européen en d’autres temps qui scandaient, on s’en souvient, en direction de dirigeants totalement sourds à leur préoccupation : « Nous sommes le peuple. » « Notre but était moins de nous adresser au président George W. Bush, qui se fiche vraiment de ce que pensent les Américains », qu’au nouveau Congrès, reconnaît Leslie Kagan, dirigeante de l’organisation United for Peace, qui fédère les nombreuses associations antiguerre du pays. Car, justifie-t-elle, la majorité parlementaire a changé de bord et le Parlement « a le pouvoir de mettre fin à cette guerre ». La pression sur la majorité du Congrès qui n’a pris jusqu’ici aucune mesure sérieuse pour bloquer le nouveau plan de George W. Bush prévoyant l’envoi de 21 000 hommes supplémentaires en renfort en Irak - hormis la perspective de motions condamnant certes l’orientation présidentielle, mais... « sans caractère contraignant » - devrait s’accroître encore dans les heures qui viennent. Les manifestants ont décidé en effet de continuer à travailler au corps les élus démocrates, en poursuivant l’action sous de multiples formes, avec la mise en oeuvre de ce qu’ils appellent un intense « lobbying » auprès d’eux. « Si les démocrates gaspillent cette opportunité, ils ne saisiront jamais l’occasion de couper les fonds de la guerre, ni de destituer le vice-président Dick Cheney et le président George W. Bush », a expliqué à l’AFP Len Singer, un des manifestants qui a parcouru plusieurs centaines de kilomètres pour se rendre dans la capitale fédérale. Il pointait ainsi au passage, comme de nombreux autres participants, la pusillanimité de la nouvelle majorité non seulement à l’égard de la guerre, mais aussi à propos de la procédure d’impeachment que la Chambre des représentants s’est refusée à engager contre le président. « Alors que tout devrait l’y conduire, souligne l’un des porte-parole du Centre pour les droits constitutionnels (CCR) des États-Unis, une association de juristes progressistes qui a répertorié - de la violation des droits fondamentaux avec le patriot act et Guantanamo, aux mensonges pour justifier le déclenchement de la guerre en Irak en passant par l’incurie de l’administration alors que la population était confrontée aux ravages du cyclone Katrina - quatre « dossiers en béton » contre le locataire de la Maison-Blanche. Des stars au rendez-vous « Cela fait trente-quatre ans que je ne m’exprime pas dans un rassemblement antiguerre, parce que j’avais peur que, à cause des mensonges propagés sur moi (et la guerre du Vietnam), je sois utilisée pour nuire à ce nouveau mouvement antiguerre, mais le silence n’est plus une option », a lancé Jane Fonda, soixante-neuf ans, qui avait répondu présent au rendez-vous aux côtés de quelques autres stars progressistes du monde hollywoodien comme Tim Robbins, Susan Sarandon ou Sean Penn. Prenant la parole, ce dernier a été accueilli par un tonnerre d’applaudissements lorsqu’il a affirmé : « Nous sommes venus dire aux responsables politiques que s’ils ne se ressaisissent pas et s’ils ne votent pas une résolution aussi contraignante que le bilan humain (de la guerre), nous n’allons pas les soutenir ! »

Bruno Odent Article publié dans le journal L’Humanité