Enfants prisonniers en Irak.

Enfants prisonniers en Irak

par Neil Mackay

Le 5 septembre 2006

« On ne connaît pas exactement le nombre d’enfants détenus par les forces de la coalition en Irak, mais l’enquête menée à terme par le Sunday Herald suggère qu’il y en a plus de 170 dans des prisons comme Abu Ghraib et Um Qasr. On ne connaît ni leur nombre ni leur lieu d’incarcération, combien de temps ils vont-y rester et ce qu’ils ont subi durant leur détention. Selon les témoignages récoltés par ce média, il y a parmi les enfants mineurs détenus, certains qui ont 10 ans et qui sont soumis à des viols et à des tortures. »

Kasim Mehaddi Hilas affirme qu’au début du mois d’octobre [2004], il fut témoin du viol d’un garçon âgé d’environ 15 ans, incarcéré dans la prison d’Abu Ghraib en Irak. « Le garçon était gravement blessé, et toutes les portes étaient recouvertes de draps », déclara-t-il aux enquêteurs s’informent sur les abus faits aux prisonniers d’Abu Ghraib. « Lorsque j’ai entendu des cris, je me suis hissé au-dessus de la porte et j’ai vu [le nom du soldat est effacé] qui portait un uniforme militaire ». Hilas, qui était aussi menacé d’abus sexuels à Abu Ghraib, décrit ensuite avec des détails effrayants la façon dont les soldats violèrent l’enfant [1].

Dans la déclaration d’un autre témoin récoltée par le Sunday Herald, l’ex-prisonnier Thaar Salman Dawood affirme :

« J’ai vu 2 garçons dénudés, face à face, que l’on [un soldat E.U.] frappait pendant qu’un groupe de gardiens regardait et prenait des photos ; trois femmes soldats riaient des prisonniers. Deux des prisonniers étaient jeunes ».

Un chiffre méconnu

On ne connaît pas exactement le nombre d’enfants détenus par les forces de la coalition en Irak, mais l’enquête menée à terme par le Sunday Herald suggère qu’il y en a plus de 170. On ne connaît ni leur nombre ni leur lieu d’incarcération, combien de temps ils vont-y rester et ce qu’ils ont subi durant leur détention [2].

La preuve des arrestations et des incarcérations généralisées d’enfants en Irak organisées par les armées E.U. et Britanniques, apparaît dans un rapport interne élaboré en juin par l’UNICEF. Étonnamment ce rapport n’a pas été rendu public. Dans un des principaux chapitres sur la protection des enfants, intitulé, enfants en conflit avec la loi et les forces de la coalition, il est mentionné :

« En juillet et août 2003 plusieurs réunions furent organisées avec l’Autorité Provisoire de la Coalition [...] et le ministère de la justice pour travailler des questions des jeunes et de la situation des enfants détenus par les forces de la coalition. [...] Par l’intermédiaire de différents canaux, l’UNICEF travaille pour obtenir des informations plus précises sur les conditions de détention et d’incarcération des enfants et de s’assurer si leurs droits sont respectés ».

Il est indiqué dans un autre chapitre :

"L’information référent au nombre, l’âge, le sexe et les conditions d’incarcération est limitée. Il est mentionné qu’à Bassorah et Karbala les enfants arrêtés pour des supposées activités à l’encontre des forces d’occupation, sont automatiquement transférés dans un centre d’internement de Um Qasr [au sud de Bassorah]. La classification « d’internes » de ces enfants est préoccupante, elle implique une détention illimitée sans aucun contact avec la famille, sans expectative de jugement et d’un procès approprié ».

Le rapport affirme aussi que « un centre de détention pour enfants a été établi à Bagdad, à l’intérieur duquel, selon le Comité International de la Croix Rouge (CICR) il y a un grand nombre d’enfants en détention. UNICEF informe que les forces de la coalition planifient le transfert dans ce centre de détention « spécialisé » tous les enfants qui se trouvent dans des centres avec les adultes. En juillet 2003 l’UNICEF a sollicité une visite de ce centre, mais l’accès lui a été refusé. Depuis le mois de décembre dernier les mauvaises conditions de sécurité dans la zone où se situe ce centre de détention ont empêché la visite d’observateurs indépendants tel que le CICR ». Il continue :

« Les détentions injustes d’hommes irakiens, y compris des jeunes, suspectés d’actions contre les forces d’occupation, se sont transformées en frustration croissante pour les jeunes irakiens, devenant ainsi une des principales causes d’une radicalisation potentielle de ce groupe de population ».

En service à Abu Ghraib

Les détentions et les abus d’enfants en Irak ont aussi été étudiés par des journalistes allemands. Un journaliste, Thomas Reutter dans le programme de télévision Report Mainz, s’est entretenu avec un sergent Samuel Provance arrivant au terme de 6 mois de service à Abu Ghraib, il lui avait été interdit de parler, mais il raconta tout de même comment fut arrêté un garçon de 16 ans. « Il était terriblement effrayé, dit Provance. Je n’avais jamais vu des bras aussi maigres. Son corps entier tremblait. Ses poignets étaient tellement maigres qu’ils ne pouvaient même pas lui mettre les menottes. J’ai ressenti de la peine pour lui dès qu’ils l’ont emmené pour l’interroger. Les spécialistes des interrogatoires l’ont arrosé d’eau et l’ont embarqué dans une voiture. Puis ils ont roulé toute la nuit, et à cette époque il faisait très froid. Ensuite ils l’ont badigeonné de boue et l’ont présenté ainsi à son père qui lui aussi était détenu. Les autres méthodes interrogatoires appliquées sur lui avaient été vaines. Le spécialiste m’a dit qu’après avoir vu son fils dans cet état le père était détruit. Il se mit à pleurer et à promettre de dire tout ce qu’ils voulaient savoir ».

Pendant qu’il montait un documentaire, un journaliste de la télévision irakienne, Suhaib Badr-Addim Al-Baz, put voir la section des enfants à Abu Ghraib quand il fut arrêté par l’armée E.U. Il y est resté 74 jours : « J’ai vu là-bas un camp pour les enfants. Des garçons qui n’étaient même pas en âge de puberté. Dans ce camps il y en avait une centaine d’entre eux en sécurité ». Al-Baz affirme qu’il a entendu pleurer une fillette de 12 ans. Son frère était également détenu dans cette prison. Un gardien de nuit s’est rendu dans sa cellule. « Ils la frappaient. Je l’ai entendu crier : ils m’ont dénudé. Ils m’ont arrosé avec de l’eau ». Il dit qu’il entendait ses cris et ses gémissements ce qui provoquait les pleurs d’autres enfants prisonniers lorsqu’ils l’entendaient crier tous les jours. Al-Baz racontait aussi qu’ils arrosaient plusieurs fois avec un tuyau d’eau un garçon de 15 ans jusqu’à ce qu’il s’effondre. C’est alors que les gardiens amenaient le père du garçon avec une cagoule sur la tête. Le garçon s’effondrait alors de nouveau.

Bien que la majorité des enfants soit détenus sous la surveillance états-unienne, le Sunday Herald a pu établir que quelques-uns le sont sous le contrôle de l’armée britannique. Les soldats britanniques détiennent les enfants dans des villes comme Bassorah, qui sont sous contrôle britannique, ensuite ils transfèrent les plus jeunes aux états-uniens, qui les interrogeront et les garderont.

Jusqu’à 107, selon la Croix Rouge

Entre janvier et mai de cette année, la Croix Rouge a enregistré après 19 visites dans 6 prisons de la coalition, un total de 107 enfants mineurs détenus. Rana Sidani, appartenant à cette organisation, affirme qu’ils n’ont pas d’information complète ni sur les âges de ces enfants qui sont détenus, ni sur la façon dont ils sont traités. La détérioration de la sécurité a empêché la Croix rouge de pouvoir visiter tous les centres de détention.

Amnesty International (AI) s’est indigné qu’il y ait des enfants en détention. Elle est consciente des « nombreuses violations des droits humains sur les enfants mineurs irakiens, comprenant les détentions, la torture, la maltraitance, et les assassinats ». A.I s’est entretenue avec d’anciens détenus libérés qui confirment avoir vu à Abu Ghraib des enfants de 10 ans. Les dirigeants de l’organisation ont lancé un appel aux gouvernements de la coalition pour qu’ils fournissent l’information concrète au sujet des âges des enfants, le nombre de détenus, les motifs, le lieu où ils se trouvent et les circonstances pour lesquelles ils ont été détenus. Ils veulent également savoir si les enfants ont été torturés.

Alistair Hodgett, directeur de presse de A.I aux Etats-Unis, affirme que la coalition doit être « transparente » en respect à sa politique de détention d’enfants, il ajoute : « Le secret caché est une chose qui déclenche des alarmes ». Une brève autorisation fut concédé à Amnesty pour qu’elle visite une prison de Mossoul, mais les permis de visites pour d’autres prisons leurs ont été refusé. Il signale que même des pays « [...] qui n’ont pas de bons antécédents », comme la Libye, autorisent Amnesty à visiter les prisons. « La seule conséquence de ces refus est que cela alimente les rumeurs », insiste Hodgett, qui ajoute qu’après le transfert de pouvoirs les armées Britanniques et états-uniennes ne devraient détenir aucun irakien, et encore moins des enfants. « Lorsque la coalition a livré Sadam [Hussein] elle aurait du livrer également [aux nouvelles autorités irakiennes provisoires] les autres 3000 détenus » [3].

Le ministre de la Défense britannique a confirmé que l’armée du Royaume-Uni a transféré des prisonniers à celle des Etats-Unis. Il a également reconnu qu’il y a actuellement des prisonniers de moins de 18 ans à la prison de Shaibah, près de Um Qasr. Depuis le début de l’invasion, les Britanniques ont détenus puis libérés 65 enfants de moins de 18 ans. Il se défend, le CICR avait accès aux prisons Britanniques et aux listes des prisonniers.

Mineurs de 14 ans

Plusieurs hauts fonctionnaires du Pentagone et du Centcom ont déclaré au Sunday Herald que l’armée des E.U tenait en captivité des mineurs de 14 ans. « Nous avons des mineurs en captivité », cette source déclare : « ils ont été emprisonné parce que l’on considère qu’ils peuvent être une menace ou parce qu’ils ont commis des actes contre la coalition et les irakiens ».

Le Pentagone déclare avoir « [...] une soixantaine d’enfants mineurs en détention qui ont entre 16 et 17 ans », il est à signaler, que lorsque la Croix Rouge à dévoilé des chiffres supérieurs, la source a admit que « [...] ces chiffres ont pu augmenter ; il est possible que nous ayons détenus plus de garçons ». Les fonctionnaires n’ont fait aucun commentaire sur des mineurs de 16 ans incarcérés, et signalent : « C’est véritablement difficile de déterminer leur âge. Car à l’inverse du Royaume-Uni et des Etats-Unis ; il n’ont aucune pièce d’identité ni de certificat de naissance ». Cependant, le Sunday Herald a été informé qu’au moins 5 enfants de 16 ans sont emprisonnés à Abu Grhaib et Camp Bucca [à Um Qasr]. Une source bien placée au Pentagone affirme : « nous avons enquêté sur les accusations de violation et d’abus sur les enfants, et nous n’avons rien vu de cela ».

La politique officielle du Pentagone est de séparer les enfants mineurs en détention du reste des prisonniers et de leur permettre d’avoir des contacts avec les membres de leurs familles qui pour certains sont également prisonniers. « Notre principale préoccupation, est d’éviter que les autres prisonniers n’abusent d’eux et ne les harcèlent. Nous savons qu’ils nécessitent un traitement spécial », affirme un fonctionnaire. Les sources du Pentagone déclarent ignorer la durée d’incarcération de ces enfants, mais ils affirment que leurs cas sont révisés tous les 90 jours. La dernière révision a été faite au début de ce mois. Ces sources-là ont confirmé que les enfants ont été interrogé, mais ils n’ont pu établir si « [...] les interrogations se sont déroulées comme celles des adultes ».

Le gouvernement Norvégien, qui appartient à la « Coalition de la Bonne Volonté » [4], a déjà déclaré qu’il va dire aux États-uniens que l’hypothèse de la torture des enfants est intolérable. Odd Jostein Saeter, secrétaire parlementaire du bureau du premier ministre norvégien affirme :

« Ces agressions sont intolérables. Elles sont contraires au droit international et sont également inacceptables du point de vue moral. C’est la raison pour laquelle nous réagissons avec fermeté. [...] nous nous occupons directement et sévèrement de cette affaire, et nous réclamons des réponses concrètes. Cela terni la lutte pour la démocratie et les droits humains en Irak ».

Au Danemark, qui fait partie de la coalition, l’association « Save the Children » (Sauver les enfants) a lancé un appel à son gouvernement pour qu’il exige des forces d’occupation, la libération immédiate des enfants prisonniers. Neals Hurdal, directeur de la section danoise de Save the Children, affirme qu’il y avait depuis le mois de mars les rumeurs que des enfants sous surveillance à Bassorah étaient maltraités.

L’UNICEF est « profondément inquiète » à cause des informations sur les enfants ayant subis des abus de la part des forces de coalition. Alexander Yuster, conseillère supérieure de l’UNICEF sur la détention des enfants mineurs, affirme que selon le droit international la détention d’enfants doit être le dernier recours et seulement dans ce cas et pour le moins de temps possible. Ils doivent avoir accès à des avocats, à leurs familles, être maintenus en condition de sécurité, de salubrité, éduqués, bien alimentés et ne doivent être soumis à aucune forme de punition psychologique ou physique. UNICEF tente désespérément d’obtenir plus d’informations sur le sort des enfants qui sont actuellement incarcérés dans les prisons de la coalition.

[1] Les photos des tortures sur les enfants et les femmes à Abu Ghraib n’ont pas été diffusées, bien que l’on connaisse leur existence.

[2] Les renseignements concrets, sur la détention des enfants mineurs ont été fournis à la délégation de la CEOSI qui a visité l’Irak en avril dernier, par une avocate membre de l’association des avocats en Irak.

[3] Le 26 juillet dernier, le porte parole du Pentagone Larry Di Rita a informé que les forces d’occupation E.U maintenaient pour l’heure et sous leur surveillance 17000 prisonniers irakiens. Dans ce chiffre il n’est pas inclus les 4000 autres prisonniers détenus par les forces de sécurité irakiennes. « Nous détenons un grand nombre d’individus sur qui nous enquêtons, accusés d’être des criminels ou des insurgés potentiels desquels nous pouvons obtenir des informations supplémentaires [sur la résistance], indiqua Di Rita. Ce chiffre suppose une nouvelle augmentation par rapport au dernier chiffre du Pentagone en mars : 10500 .

[4] Coalition of the Willing, c’est le nom donné aux pays des forces d’occupation en Irak.