Pourquoi Bush choisira la guerre contre l’Iran. Par Ray Close.

Pourquoi Bush choisira la guerre contre l’Iran

par Ray Close

Le 29 aout 2006

Comme de nombreuses personnes, j’ai beaucoup de mal à croire que le Président Bush serait assez fou pour attaquer militairement l’Iran et que même s’il le voulait, le Congrès, le Pentagone et l’opinion publique américaine ne cautionneraient jamais une telle action. Mais je me souviens lorsqu’au printemps 2002 j’ai rédigé une note "à mes amis" comme celle-ci et où je pronostiquais que les menaces d’invasion de l’administration Bush contre l’Irak n’étaient que du bluff et où j’étayais mon raisonnement en énumérant toutes les raisons qui feraient qu’une telle décision aboutirait à un désastre. De nombreux amis à l’époque m’ont fait remarquer que j’avais oublié un point essentiel : que la décision d’un changement de régime était DEJA PRISE et que j’attachais trop d’importance aux conséquences. Le problème aujourd’hui est que les conséquences d’une attaque contre l’Iran seraient encore pires - et alors ? (comme George Will l’a dit dimanche dernier à George Stephanopoulos, "Quand est-ce que ce président s’est-il déjà préoccupé de l’avis du Congrès ou de l’opinion publique ?"). Que ce président se croit réellement investi d’une mission de Dieu me rend nerveux.

C’est pour cela que j’admets désormais à regret que Bush lancera effectivement une attaque contre l’Iran avant la fin de son mandat.

1. Comme prévu, l’Iran a offert d’entrer dans des négociations, mais a rejeté les conditions préalables d’interrompre son programme d’enrichissement de l’uranium. L’Iran maintiendra sa position en comptant sur l’incapacité des Etats-Unis à réunir, au niveau international, les conditions économiques et politiques pour exercer une pression sérieuse dans un proche avenir. Dans le même temps, l’Iran est totalement et sincèrement convaincu (non sans raisons) que les Etats-Unis sont décidés, au niveau tactique, à renverser le régime de Téhéran et, au niveau stratégique, à lancer une guerre plus large contre l’Islam. A tort ou à raison, les dirigeants Iraniens interprètent la coalition Israël-Etats-Unis contre le Liban comme l’ultime preuve de leurs suspicions. Et rien ne pourra leur faire changer d’avis. Nous pouvons faire toutes les gesticulations, mais la vérité est que nous n’arriverons pas à convaincre ou à intimider les dirigeants iraniens à se plier à notre volonté. Le nœud du problème est le suivant : aucun des principaux décideurs - ni Bush, ni Cheney, ni Rice (ni Rice !) - ne comprennent et n’admettent cette simple réalité. Ainsi, tous les analyses et calculs qui forgent la politique des Etats-Unis sont basés sur une fausse prémisse.

2. Les Etats-Unis ne réussiront pas à convaincre le Conseil de Sécurité de l’ONU d’instaurer (puis de renforcer) des sanctions que Washington jugera suffisantes - malgré la préoccupation partagée par les autres grandes puissances, dont la Chine et la Russie, d’un Iran nucléarisé. L’administration Bush pourra toujours fulminer contre le manque de détermination et de solidarité de la part de ses "alliés", mais cela ne fera qu’exacerber les divisions et démontrer un peu plus la faiblesse du leadership politique et moral des Etats-Unis et la détérioration de sa crédibilité au plan international. L’Iran regardera ce feuilleton comique en souriant comme la Chat de Chester (d’Alice au pays des merveilles - ndt).

3. Quelles que soient les sanctions qui serait éventuellement instaurées, elles ne pourront jamais convaincre l’Iran d’abandonner ses projets nucléaires. Il est même certain que l’Iran poursuivra au même rythme le développement de son programme, jusqu’à dépasser la "ligne rouge" tracée par les Etats-Unis et Israël, qui vise à posséder la matière première nécessaire pour fabriquer une bombe nucléaire le moment venu. (Comme nous le savons tous, la fabrication d’une bombe opérationnelle pourrait prendre encore dix ans ou même plus, mais la "ligne rouge", qui consiste à posséder la technologie nécessaire, pourrait être dépassée BIEN AVANT - et très certainement avant la fin du mandat de Bush en janvier 2009.)

4. Alors voici le raisonnement de Bush :

a) Il a juré qu’il ne quitterait pas son poste avant de s’assurer que l’Iran ne deviendra pas une puissance nucléaire. Il a probablement fait la même promesse aux dirigeants d’Israël, en privé et peut-être de manière explicite. Ce qui signifie qu’il a bien l’intention d’attaquer militairement l’Iran avant janvier 2009 si tous les autres moyens de pression échouent - et ils échoueront. Il croit profondément que l’Iran représente une menace à l’existence de notre allié Israël et aussi une menace extrêmement dangereuse pour le peuple américain. Bush croit aussi que l’Iran est déterminé à saboter le projet américain d’un "nouveau Moyen-Orient", en soutenant les éléments terroristes antiaméricains tels que le Hezbollah et le Hamas, et en s’appuyant sur un pouvoir renforcé par la possession d’armes nucléaires. Etant donné la détermination de Bush à "gagner la Guerre Globale contre le Terrorisme", la neutralisation de l’Iran est devenue une priorité équivalente, sinon supérieure, à celle d’une "victoire" en Irak - autre impossibilité qu’il refuse de reconnaître en privé, et encore moins en public.

b) Bush a l’intention (sans grande conviction ou sincérité) d’épuiser toutes les voies diplomatiques ou économiques pour arriver à ses fins. Après leur échec, il tentera l’intimidation, en renforçant la menace d’une attaque militaire. Ceci ne fera que renforcer le soutien interne au régime iranien et l’opposition aux Etats-Unis, particulièrement dans le monde musulman. De plus, d’une manière certaine, le risque d’une confrontation militaire entre les Etats-Unis et l’Iran renforcera considérablement l’opposition interne et régionale aux objectifs des Etats-Unis en Irak. (Note : mystérieusement, Bush persiste à ne pas vouloir voir un rapport entre les deux)

c) Le meilleur espoir pour éviter une guerre contre l’Iran (dont les conséquences catastrophiques seraient trop nombreuses à énumérer) serait une opposition bipartisane des militaires et des politiciens américains qui sont conscients de la faiblesse actuelle des forces armées US. D’un autre côté, il parait que Bush a été convaincu par certains conseillers que STRATCOM (Strategic Air Command) a un plan réalisable qui consisterait à lancer pratiquement simultanément des attaques contre 1500 cibles en Iran et neutraliser ainsi une éventuelle riposte iranienne, et qui éviterait le recours à une opération terrestre majeure ou une occupation du pays après le conflit. (La logique derrière une telle stratégie s’appuie apparemment sur l’espoir que la destruction du potentiel nucléaire iranien et de ses capacités militaires conventionnelles par un étalage de "shock and awe" [1] déclencherait une révolte interne contre le gouvernement, des éléments pro-occidentaux se tiendraient prêts à prendre le pouvoir au nom de la liberté et de la démocratie. Il doit s’agir d’un autre délire imaginé par des esprits tordus tels que Michael Ledeen et autres illusionnistes néocons.)

5. Je crois que l’Iran aspire à devenir un membre reconnu et accepté de la communauté des états modernes prospères et influents. Et un Iran membre d’une telle communauté serait un plus pour les Etats-Unis et le monde. C’est cela qui devrait donc être l’objectif de la politique des Etats-Unis : la conciliation et éventuellement le changement des aspirations nationales légitimes d’un Iran pragmatique qui défend ses intérêts, au lieu d’ une guerre préventive aux conséquences potentielles catastrophiques contre une nation Musulmane de 70 millions d’habitants potentiellement puissante et influente. Soudoyer l’Iran vers le chemin de la reconnaissance internationale est la "carotte" la plus importante que nous pouvons offrir aujourd’hui à la direction Iranienne. Cependant, la possibilité telle politique a été totalement gâchée par l’hostilité et l’agressivité stérile du discours diplomatique US, en commençant par "l’axe du mal" et en terminant récemment par des ultimatums à l’évidence inacceptables. Tout ceci a grandement affaibli notre marge de négociation tout en compliquant sérieusement un accord raisonnable avec l’Iran.

6. Cependant, du point de vue Iranien, la volonté de l’Iran de gagner une respectabilité et une reconnaissance internationale est actuellement dominée par deux autres facteurs : la nécessité de renforcer et préserver la fierté nationale iranienne (récemment renforcée par l’apparent succès du Hezbollah au Liban), et sa conviction que les Etats-Unis sont un ennemi implacable aux méthodes agressives de voyou et auquel il faut résister à tout prix.

7. Tenant compte de tous ces éléments, il me paraît clair que Bush est engagé dans une voie sans issue où sera pris celui qui croyait prendre :

a) S’obstiner à obtenir une capitulation de l’Iran par des sanctions économiques inefficaces et des vociférations et grandiloquences contreproductives.

b) Suivies rapidement par une période d’escalade des menaces militaires, période pendant laquelle l’opposition interne et internationale à la politique américaine se renforcera considérablement, rendant les décisions de Bush encore plus douloureuses et difficiles à prendre, à tous points de vue.

c) Bush pense, en dernière analyse, qu’une action militaire préventive contre l’Iran présentera moins de risques et coûtera moins cher qu’un Iran en possession de l’arme nucléaire, sans parler de l’humiliation personnelle et nationale qui résulterait d’une telle situation.

d) Au cours de son mandat, une frappe aérienne massive contre un large éventail de cibles choisis en Iran, en partenariat avec Israël, et contre l’avis de nombreux conseillers. Frappe justifiée par le fait qu’un Iran nucléarisé représenterait une menace intolérable contre la sécurité nationale des Etats-Unis. Bush est convaincu que Dieu est d’accord avec lui sur ce point, et certain aussi que l’Histoire finira par reconnaître et apprécier à sa juste valeur le courage d’un dirigeant visionnaire.

Ray Close est membre de "Veteran Intelligence Professionals for Sanity " et a travaillé pendant 27 ans pour la CIA.

Source : Information Clearing House, 25 août 2006, www.informationclearinghouse.info/article14694.htm

Traduction "l’histoire me pardonnera, pense Bush" par CSP.