Palestine : Colonisation, résistance et démocratie. Par P-Y Salingue

Palestine : Colonisation, résistance et démocratie

Par Pierre Yves Salingue

21 décembre 2005

Les deux principales puissances impérialistes mondiales viennent d’adresser un avertissement sans frais à la population palestinienne de Cisjordanie et de Gaza.

Il y a quelques jours, la Chambre des représentants des USA d’une part et Javier Solana parlant au nom de l’Union Européenne d’autre part, ont clairement annoncé que le soutien financier apporté à l’Autorité palestinienne serait remis en cause en cas de victoire électorale et/ou de participation à "cette administration" d’organisations qui ne condamnent pas la violence ou qui ne reconnaissent pas l’Etat d’Israël.

Le message adressé aux Palestiniens est sans ambiguïté : l’Impérialisme ne tolérera pas que les Palestiniens choisissent une représentation politique qui n’accepterait pas la soumission et qui refuserait de liquider leurs aspirations nationales en échange de quelques miettes politiques et de nombreuses prébendes individuelles.

Le contraste est frappant entre l’enthousiasme manifesté par ces mêmes gendarmes de l’ordre impérialiste mondial, protecteurs de l’état sioniste, lors de l’élection de Abu Mazen il y a moins d’un an et la réaction brutale au lendemain des résultats des élections municipales palestiniennes.

Quand l’élection à la Présidence de l’Autorité de "l’architecte" des accords d’Oslo était présentée comme un signe de la grande maturité politique des électeurs palestiniens, ce qui permettait de leur décerner un brevet d’aptitude à la démocratie, le vote massif en faveur des organisations qui ont refusé d’abdiquer et de renoncer aux revendications nationales est cette fois présenté comme un événement politique qui met en danger les efforts de la communauté internationale "en faveur de la population palestinienne dans le besoin."

On retrouve dans la morgue impérialiste de Solana les intonations traditionnelles des propriétaires à l’égard des exploités : les puissants veulent bien être généreux et aider les pauvres et les opprimés à supporter leur misère mais il n’est pas question que ces gueux s’avisent de prendre la parole, prétendant confier la défense de leurs intérêts à des gens qui ne sont pas conformes aux normes politiques et idéologiques fixées par les représentants de la "démocratie impérialiste", ce modèle universel dont devraient s’emparer les peuples reconnaissants.

Or, lors de ces dernières élections, la population de Cisjordanie a infligé une raclée aux candidats du Fatah, parti qui a totalement lié son sort à l’Autorité palestinienne.

A Naplouse, à Jénine et à al Bireh le Hamas a taillé des croupières à l’ex. tout puissant Fatah, le mouvement créé par Arafat et qui, après avoir dominé l’OLP s’est octroyé la quasi totalité des postes et des responsabilités dans l’administration de l’Autorité palestinienne.

Des manœuvres de l’Autorité ont empêché la tenue des élections à Hébron, mais nul doute que dans cette ville le Hamas est en mesure de remporter une victoire équivalente à celle de Naplouse (13 sièges sur 15).

Dès lors, sachant la force du Hamas à Gaza, le doute n’est plus possible : Il existe une très forte probabilité d’un effondrement des candidats liés aux partis participant à l’Autorité Palestinienne lors des élections du Conseil législatif prévues fin janvier.

Ceux qui ont été jugés acceptables par le gouvernement US et les Européens ne semblent plus en mesure de faire face aux obligations qu’ils ont contractées en échange du soutien apporté par les généreux sponsors du « processus de paix ».

Quand l’Impérialisme s’impatiente et menace.

Sommé de mettre en œuvre les demandes israéliennes et américaines de réprimer toute volonté de résistance, Mazen tergiverse depuis des mois.

Quant à ceux qui, comme Dahlan et Rajoub, n’auraient aucun état d’âme à réprimer à grande échelle, il n’est pas certain qu’ils en aient les moyens.

Le résultat des élections a accéléré la crise interne du Fatah et le problème posé par le succès du Hamas est d’autant plus aiguë que les solutions de rechange encouragées par l’Impérialisme ne sont pas prêtes.

La liste présentée par Hanan Ashrawi et emmenée par Salem Fayad aurait les faveurs des supporters de la globalisation capitaliste au MO : une tête de liste ancien haut-responsable à la Banque Mondiale, voilà qui présente quand même mieux que le dirigeant emprisonné d’une organisation jugée terroriste par les généreux bienfaiteurs de la Palestine !

Mais, et c’est "un détail" d’importance, si ceux-là peuvent représenter une solution de rechange au Fatah en voie de désintégration pour une partie de la bourgeoisie palestinienne favorable à Oslo ( la liste a des allures de conseil national du patronat palestinien...), ils/elles n’ont aucune influence au sein de la population et encore moins chez les réfugiés

La coalition du PPP, de FIDA et du FDPLP ne pèse apparemment pas grand chose.

Quant au Front populaire (FPLP), qui semble être le seul en mesure d’incarner encore les ambitions modestes d’une gauche palestinienne aujourd’hui fort éloignée des espoirs ouverts par la première Intifada, il est lui aussi considéré par les Américains et les Européens comme "une organisation terroriste" et il n’hésite d’ailleurs pas à s’allier au Hamas, comme à Bethlehem où la coalition des deux organisations a défait le propriétaire Fatah des lieux.

Echaudés par l’expérience Abu Mazen dans lequel ils fondaient de grands espoirs de normaliser la vie politique palestinienne, les responsables impérialistes n’ont probablement pas trop d’illusions sur la portée de leurs menaces à court terme.

L’étranglement économique et financier est évidemment une arme redoutable pour tenter de soumettre les peuples et l’exemple de la politique de l’USAID, imposant aux ONG palestiniennes qui sollicitent des financements la signature d’un engagement à ne mener aucune action en faveur de personnes "liées aux actions terroristes", montre qu’on ne saurait sous-estimer ses effets destructeurs à long terme.

La totalité des salaires des employés de l’Autorité est assurée par les financements européens et les conditions d’existence de centaines de milliers de Palestiniens des territoires dépendent directement de cette source de revenu.

On imagine donc facilement comment cette relation de dépendance encadre la liberté de choix et la volonté démocratique des principaux concernés par la menace d’une suspension des versements !

Mais, à court terme, l’efficacité du chantage n’est pas acquise et dans ces conditions, malgré la répression des forces sionistes qui ont emprisonné ces dernières semaines des centaines de militants et candidats des organisations palestiniennes opposées à la capitulation, le résultat des élections au Conseil législatif risque fort de ne pas être conforme aux exigences impérialistes et cette perspective suscite l’inquiétude et explique la brutalité des propos tenus à l’encontre de ces maudits Palestiniens qui s’obstinent.

Pour les faire céder, une première solution serait de réunir les conditions permettant à l’Autorité de justifier un report des élections, donnant ainsi du temps pour que la menace produise ses effets.

Une autre option possible est d’intensifier la pression pour contraindre le Hamas à se retirer de lui-même de la compétition électorale.

On verra alors si les protestations des représentants de l’Autorité contre "l’insupportable ingérence des pays financeurs" vont jusqu’à un boycott des élections, en solidarité avec les exclus... Pour le moment seul le FPLP a annoncé cette décision en cas d’exclusion du Hamas.

Mais, avec ou sans élections bidon, ceci ne sera pas suffisant et d’autres moyens seront alors employés.

Ce qui se prépare est une répression ouverte et brutale de toute la résistance palestinienne, car c’est l’esprit même de résistance qu’ils veulent anéantir, avec la complicité de leurs comparses, la fraction des Karzaï de l’Autorité Palestinienne qui, s ‘ils trompent de moins en moins de Palestiniens, tentent de profiter jusqu’au bout de la légitimité que leur a conférée l’Impérialisme avec les accords d’Oslo.

Le mouvement de solidarité à l’heure des choix.

Dans ces circonstances il ne suffira pas que le mouvement de solidarité défende un "droit de choisir" pour le moins très abstrait.

Il faudra se déterminer sur la légitimité d’élections dont seraient écartées les forces qui refusent de se soumettre.

Il faudra soutenir ceux qui ont fait le choix de la résistance, qui refusent d’abdiquer leurs droits légitimes et qui, de ce fait, cherchent à promouvoir une autre représentation politique que celle qui les a amenés à la catastrophe actuelle.

Chaque jour qui passe ébranle un peu plus la fiction d’une Autorité qui serait la continuité d’une direction historique légitime défendant les intérêts du Peuple palestinien.

Il est désormais de plus en plus inacceptable de cacher qu’une majorité de Palestiniens rejette la clique de collaborateurs obstinés à faire durer éternellement des négociations fictives au bénéfice de leurs intérêts personnels et de ceux de l’état sioniste

L’heure est venue de comprendre que les Palestiniens restent très majoritairement fidèles à leurs exigences de libération nationale.

La colonisation sioniste contraint chaque jour un peu plus les Palestiniens à choisir entre la capitulation et la lutte de résistance.

La faillite d’une grande partie de ceux qui prétendaient mener le combat de libération ne leur laisse que peu d’options aujourd’hui et cette situation durera tant que de nouveaux instruments de lutte n’auront pas été reconstruits.

Voilà pourquoi ils préfèrent voter pour des organisations qui, si elles sont apparemment populaires au sein d’une population qui est pourtant aux premières loges pour recevoir les coups destinés à punir sa résistance, n’ont pas bonne presse ici, y compris dans le mouvement de solidarité.

On parle ici du Hamas bien sur, cette organisation de la résistance islamique à l’occupation sioniste de la Palestine qui a pour l’essentiel refusé la capitulation d’Oslo et dont les militants ne se sont pas précipités pour empocher "les dividendes de la paix".

Car il n’est pas si difficile de comprendre pourquoi le Hamas a pu apparaître comme "le seul défenseur de la population palestinienne"[1] avec ses quelques centaines de militants armés quand l’Autorité possédait des forces de dizaines de milliers de policiers armés avec l’accord d’Israël.

De même peut-on comprendre comment il a pu "assurer des services à la population par l’intermédiaire des ses écoles et de ses cliniques"[2]

Pour comprendre il suffit de rappeler les engagements pris par Arafat et Mazen dans les accords intérimaires signés avec les gouvernements sionistes : ils s’y engageaient à ne pas riposter aux agressions de l’armée israélienne et à protéger les colonies.

Et il suffit de reconnaître que la corruption a détourné des dizaines de millions de dollars au détriment de la satisfaction des besoins sociaux de la population.

Evidemment on ne peut pas dire ces choses sans rompre avec le suivisme à l’égard d’une direction dont la faillite éclate aujourd’hui au grand jour et que de plus en plus de Palestiniens veulent écarter des responsabilités.

La plus grande "ingérence" de l’Impérialisme dans les affaires palestiniennes s’est produite en septembre 1993, quand furent signés les accords d’Oslo par une direction palestinienne qui a emmené le Peuple palestinien dans l’impasse tragique dont il tente désespérément de sortir.

Condamner les pressions actuelles des dirigeants impérialistes sans soutenir l’exigence populaire palestinienne de rupture avec cette politique, c’est rester soumis à la logique de destruction du Peuple palestinien et de ses revendications fondamentales.

Le choix de la résistance et le refus du fait accompli de l’Etat sioniste sont les pré-conditions de toute démocratie dans une Palestine libérée de la colonisation sioniste et de la domination impérialiste qui veut soumettre la totalité des peuples de la région.

Les prochaines semaines exigeront que chacun décide du camp qu’il choisit de soutenir.

NOTES

[1] voir Claude Léostic sur le site de l’AFPS

[2] idem