Le "livre-vérité" d’un ex-marine

Une parole venue du fond de l’enfer

L’Humanité

Bruno Odent

Jimmy Massey, ex-sergent de marine, témoigne sans fard dans un langage très cru et direct des crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak. Kill ! Kill ! Kill ! son « livre vérité », coécrit avec notre correspondante à New York, Natasha Saulnier, paraît aujourd’hui en France.

C’est un « livre vérité » d’une force inouïe sur la réalité de l’occupation militaire de l’Irak qui est mis à partir d’aujourd’hui à disposition du public français, un témoignage qui vient des rangs même de l’armée américaine. L’ex-sergent de marine Jimmy Massey raconte dans un langage brut, direct, comment il a été conduit à commettre, lui-même et ses hommes, des crimes de guerre. Avec un courage qui tient autant à la volonté de briser le mur du silence qu’à ce souci du « parler vrai », sans jamais se donner « le beau rôle » puisqu’il y décrit comment il est devenu, lui-même - comme officier recruteur, puis comme officier d’infanterie sur le théâtre d’opération irakien -, un des rouages de la « machine à tuer », Jimmy Massey parle, parle et parle encore. Crucial pour pouvoir, enfin comme il nous l’a dit, « se regarder en face dans une glace », se délivrer un peu du cauchemar qui continue de l’habiter et aussi s’engager aux côtés de ses compatriotes du mouvement antiguerre. Le livre intitulé Kill ! Kill ! Kill ! a été écrit avec notre correspondante à New York, Natasha Saulnier, qui avait été la première à interviewer Jimmy Massey, révélant dans nos pages, dès le 13 avril 2004 - bien avant donc la publication des photos accablantes d’Abu Ghraib -, la gravité des exactions commises par l’armée qui prétendait « libérer le pays ».

« J’avais cru, nous confie l’ex-sergent, à ce que l’on m’avait dit, que nous allions en Irak pour aider les gens, leur apporter la démocratie, je me rendais compte que nous étions en train de commettre des crimes de guerre. » Choc post-traumatique, dépression, « j’étais devenu incapable de trouver le sommeil », durant l’été 2003 Jimmy Massey obtient de quitter l’armée après douze années de service. Il n’a de cesse depuis lors de laver l’insupportable souillure. Il prend à plusieurs reprises la parole dans les rassemblements du mouvement antiguerre aux États-Unis. Natasha le décide, en septembre 2004, de venir témoigner à la Fête de l’Humanité à Paris. Il fallait sentir cette émotion lorsqu’il s’est exprimé devant l’agora où sont organisés les grands débats du journal, où, quelques instants plus tard, sur la grande scène de la Fête. Cette parole si authentique, le courage de cet homme, âgé aujourd’hui de trente-deux ans, dont l’histoire se confond avec celle de milliers de jeunes Américains des milieux les plus modestes qui choisissent, un jour, l’armée faute d’autre perspective, ne pouvaient que toucher profondément le public populaire de la Fête de l’Huma. Après ses interventions, certains se précipitent vers lui, veulent à tout prix lui adresser la parole, le serrer dans leurs bras. Et la force de cette sorte de courant solidaire est telle que Jimmy me confie au bord des larmes : « Je me sens bien. Je me sens, ici, chez moi. »

Natasha Saulnier, saisie par le besoin de parler qu’éprouve le marine et par la force de ses révélations, s’était proposée, quelques semaines plus tôt, de l’aider à transcrire cette terrible mémoire. En quelques mois, un livre est bouclé. Les deux auteurs, qui l’ont intitulé Cow Boys from Hell (« Cow-boys de l’enfer »), espèrent pouvoir le publier, comme une sorte de pièce à conviction contre la politique guerrière de Bush, avant l’élection présidentielle de novembre 2004. Natasha en traduit même, à cette époque, les bonnes feuilles pour l’Humanité (1). Hélas, l’éditeur américain recule au dernier moment et aucune autre maison d’édition ne veut pendre le risque de publier ce document. Ce qui est l’illustration « d’un monde éditorial et médiatique finalement bien plus contrôlé et formaté quon ne le pense de ce côté-ci de l’Atlantique », fait remarquer Natasha.

La journaliste ne s’avoue alors pas vaincu par la censure. La publication du livre aujourd’hui en France par les Éditions du Panama permet de briser le silence, de faire la lumière sur le véritable comportement de l’armée d’occupation US. Et pour Jimmy, d’espérer atteindre « par ricochet » ce public qui lui tient naturellement le plus à coeur, celui de ses concitoyens, comme il nous le confiera dans l’interview qu’il nous a accordée avant de quitter les États-Unis pour venir participer au lancement de son livre à Paris (voir ci contre).

L’ex-officier de marine prévient au début du livre, comme pour se justifier : « J’espère que vous me pardonnerez mon langage et l’obscénité des scènes que je vais dépeindre. Tout cela est derrière moi maintenant mais pour me réconcilier avec moi-même et servir au mieux mon pays, je ne veux rien vous cacher. Je veux vous dire comment nous, les marines, nous nous exprimons, comment nous pensons, comment nous baisons et comment nous tuons. » Pas de souci sergent Massey, est-on tenté de répondre à cette sorte de justification après la lecture de ce terrible document, traduit de la langue yankee de tous les jours. Un discours simple et précieux comme une pépite d’humanité, venue du fond de l’enfer.

(1) Nous les avons publiées sous la forme de « Chroniques du sergent Massey » du 26 octobre au 3 novembre 2004.

Kill ! Kill ! Kill !

Jimmy Massey,

Éditions du Panama,

380 pages, 22 euros.


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