Le retrait des colons a été une mise en scène cynique. Par Jonathan Steele.

Le retrait des colons a été une mise en scène cynique.

Jonathan Steele

The Guardian

Vendredi 19 août 2005

Il n’y a pas eu de ‘formation à la sensibilité’ quand les bulldozers sont entrés dans Rafah.

Comparez l’immense couverture mondiale du départ des colons Israéliens de Gaza, particulièrement à la télé, avec l’info minimale sur les expulsions plus importantes et plus brutales des mois précédents.

Il n’y a pas eu de ‘formation à la sensibilité’ pour les troupes israéliennes, pas de bus pour conduire les expulsés ailleurs, pas de généreux délais pour se préparer, pas de programme de compensation pour leurs maisons, ni aucune promesse de logement de rechange financé par le gouvernement, quand les bulldozers sont entrés dans Rafah.

A portée de vue des colonies du Gush Katif qui furent traitées avec de tels gants de velours cette semaine, les familles de Rafah avaient d’habitude un avertissement maximum de cinq minutes avant que leurs maisons et les biens de toute leur vie soient écrasés. Bien des gens n’eurent même pas le temps d’aller dans les étages ramasser leurs affaires quand l’aboiement des hauts parleurs leur ordonnait de sortir, parfois avant l’aube. Fuyant avec leurs enfants dans la nuit, ils risquaient d’être abattus s’ils revenaient ou tardaient.

Pas moins de 13.350 Palestiniens ont été jetés à la rue dans la bande de Gaza au cours des dix premiers mois de l’an dernier par les bulldozers blindés géants Caterpillar d’Israël – un total qui excède largement les 8500 quittant les colonies israéliennes cette semaine. Rien qu’à Rafah, d’après les données de l’agence de l’ONU, l’UNRWA, le nombre de démolitions de maisons a grimpé de 15 par mois en 2002 à 77 par mois de janvier à octobre 2004. Des parties de Rafah ressemblent maintenant à des quartiers de Kaboul ou de Groznyï. Face aux miradors israéliens et au mur de béton qui court près de la frontière de la bande de Gaza, gravats et maisons ruinées s’alignent sur des centaines de mètres.

La maison où j’ai séjourné il y a trois ans, située alors une rangée derrière la plus avancée, a disparu. Comme trois autres rangées de maisons derrière elle, grâce à la politique implacable de Sharon de dégager la zone pour raisons « sécuritaires », même après que Sharon ait annoncé son plan de quitter Gaza.

Les Palestiniens qui visitent les ruines ou qui tentent d’utiliser une ou deux pièces ayant survécu à l’assaut exposent leurs vies aux balles israéliennes. Un tir de semonce a sifflé quand un des propriétaires m’a mené sur son toit en plein jour le mois dernier pour observer la misérable scène. Nous sommes vite redescendus.

Ces évictions cruelles ont bien sûr été rapportées, et des étrangers qui ont tenté de stopper ou de les documenter, comme Rachel Corrie, Tom Hurndall et James Miller, l’ont payé de leurs vies avec des foules de Palestiniens assassinés. Mais la couverture n’a jamais été aussi complète ni intense que celle du retrait des Israéliens cette semaine. Sharon voulait que les médias mondiaux voient l’angoisse prolongée des colons, pour répandre l’idée (contrefaite) que si c’est difficile de faire partir 8.500 de Gaza, obtenir le départ de 400.000 de Cisjordanie et de Jérusalem Est sera impossible. Quelle que soit la sincère douleur des colons au départ de chez eux, pour les organisateurs du retrait, ce fut une mise en scène cynique.

Le coup de projecteur exagéré sur l’évacuation des colonies a des avantages. Ceux qui proclament, naïvement ou malhonnêtement, que les médias mondiaux prennent parti pour les Palestiniens ont vu leur argument s’effondrer cette semaine. Et les téléspectateurs du monde entier ont été exposés à la vue affreuse du fondamentalisme religieux rampant.

Comme ils étaient traînés de force, quelques zélotes Israéliens n’eurent nulle honte à minimiser le Génocide des Juifs, en comparant ridiculement la police israélienne désarmée à la Gestapo. D’autres proférèrent des insultes racistes. «  Les Juifs n’expulsent pas des Juifs », criaient t-ils, voulant sans doute dire que seuls les non-Juifs le font. Ils ne saisissaient apparemment pas que la plupart des gens verraient l’ironie des mots dans les faits actuels plutôt que dans l’histoire –« Les Juifs n’expulsent pas des Juifs … Les Juifs expulsent des Arabes. »

Les pires pratiques d’Israël à Gaza vont probablement être transférées sur la Cisjordanie. Les contrôles sur les libertés n’ont cessé de se resserrer en Cisjordanie au cours des dernières années. On a fermé plus de routes. On a installé plus de checkpoints. Les Murs et les barrières se sont étendus, défiant l’avis d’illégalité prononcé par la Cour Internationale de Justice. Mais, même avec cette oppression rampante, la vie en Cisjordanie n’a pas encore été aussi étranglée qu’à Gaza.

Ceci va probablement changer. Sharon – un de ses surnoms, bien nommé, est Bulldozer – veut étendre les colonies de Cisjordanie et démolir plus de maisons palestiniennes autour de Jérusalem. Sauf si cette stratégie d’unilatéralisme est bloquée, les expulsions peuvent atteindre les mêmes proportions qu’à Rafah. L’effacement des colonies donnera à ceux de Gaza la liberté de se déplacer dans leur étroite enclave, mais cet avantage risque d’être contrebalancé par les pertes de Cisjordanie. Un des pires lieux de Gaza a été le croisement Abou Houli, un tunnel pour véhicules palestiniens qui passait sous la route pour les colonies israéliennes du Goush Katif. A tout moment des tanks ou des Land Rover israéliens pouvaient survenir et bloquer le tunnel, laissant les Palestiniens échoués sur l’unique route reliant le nord ou sud de Gaza. Les femmes enceintes ne pouvaient pas aller à l’hôpital. Les familles rataient les mariages. Les étudiants ne pouvaient pas se rendre au collège pour leurs examens.

Israël a l’intension de construire au moins 16 portes de passage pour la Cisjordanie. C’est une chose que d’avoir des routes séparées – une mesure que même le Sud Profond des USA et l’Apartheid d’Afrique du Sud n’ont jamais prises. Mais insister sur le droit même de bloquer ces routes allouées aux Palestiniens est grotesque. La Cisjordanie sera saucissonnée en une série de ghettos que les forces israéliennes pourront isoler librement. Quelle que soit la justification sécuritaire, l’effet est une punition collective sur chaque Palestinien. Personne ne devrait être surpris si, face à une telle injustice, montent la colère et la résistance palestiniennes.