Iraq : le "point de basculement" ? Par Jim Lobe.

Iraq : le "point de basculement" ?

Jim Lobe

21 août 2005

www.zmag.org

Traduit de l’Anglais par Julien Salingue. Mes excuses pour les imprécisions éventuelles. Les intertitres ont été ajoutés par mes soins. JS.

L’opinion publique US a-t-elle à ce point perdu confiance dans la façon dont l’administration mène la guerre en Iraq que la stratégie de cette dernière (dans la mesure où il en existe une) ne serait plus viable ?

Malaise dans l’Establishment

Dans une situation où le Président Bush lui-même est assiégé par des manifestants anti-guerre pendant ses vacances inopportunes et interminables dans son ranch du Texas, cela semble être la Grande Question, deux semaines tout juste avant son retour à la gestion des affaires courantes à Washington.

Les législateurs Républicains, qui vont devoir affronter les élections de mi-mandat dans 15 mois, et l’Armée elle-même qui, conséquence de la débâcle du Viet-Nâm, considère comme un article de foi le fait que la perte du soutien des civils doit être évitée à tout prix, semblent de plus en plus inquiets et insatisfaits de la tournure que prennent les événements.

« Il y a de plus en plus de voix au sein du Parti et de l’Armée qui commencent à admettre que non seulement la situation en Iraq ne s’améliore pas, mais qu’au contraire elle aurait plutôt tendance à empirer  », affirme Jim Calson, du Friends Committe on National Legislation (FCNL), un groupe de pression qui s’était opposé à la guerre.

« L’Administration subit de plus en plus de pressions de l’intérieur (tout particulièrement de la part du Pentagone et de Républicains influents à Washington) et, de toute évidence, ne sait pas comment y faire face ».

Changement de ton dans les médias

La couverture médiatique de la guerre a pris une tournure particulièrement sombre ces dernières semaines, notamment depuis la mort de 14 militaires US dans une explosion le 3 août dernier.

Les grands titres de la presse écrite sont éloquents : « En Iraq, la ligne d’arrivée n’est pas en vue », dans le Washington Post il y a une semaine, suivi rapidement par « Les Etats-Unis revoient à la baisse leurs objectifs à propos de l’Iraq », puis d’une analyse plus générale jeudi [18 août ndt] intitulée « La politique US de lutte contre « l’Axe du Mal » subit une série de revers ».

Cet article relevait entre autres que les bourdes de l’Administration en Iraq avait clairement renforcé les positions stratégiques de la Corée du nord et surtout de l’Iran, dont l’influence auprès du gouvernement de Bagdad grandit sans cesse, au grand dam de Washington.

Idem dans le New York Times, qui a publié une critique virulente de la politique de Bush, signée de l’éditorialiste Franck Rich et intitulée « Quelqu’un a dit au président que la guerre était finie ». Cet article, dès l’instant où il a été publié dimanche dernier [14 août ndt], a été repris pratiquement partout sur internet.

Puis est venu un article d’analyse publié jeudi [18 août ndt], titré «  Les mauvaises nouvelles de la guerre en Iraq provoquent des inquiétudes dans le Parti Républicain au sujet des élections de 2006 », qui expliquait que même selon certains des faucons les plus durs du Congrès, l’Iraq devenait un boulet du même poids que le Viet-Nam.

Même le super-faucon Newt Gingrich, ancien porte-parole des Républicains à la Chambre des Représentants, a admis que la quasi-victoire, au début du mois, dans un bastion républicain de l’Ohio, du candidat démocrate, un vétéran de l’Iraq qui qualifiait Bush de « Chicken Hawk » [jeu de mots intraduisible qui juxtapose « poule mouillée » et « faucon » ndt], devait « sonner le réveil » pour son Parti.

Sondages

Les sondages sont eux aussi éloquents. Une enquête de Newsweek, menée il y deux semaines [la première semaine d’août ndt], indique que la confiance dans la façon dont Bush conduit la guerre est tombée à son niveau le plus bas (34%), ce qui, comme le faisait remarquer Rich, est à peu près l’équivalent du taux d’approbation de la conduite de la guerre du Viet Nâm par le Président Lyndon Johnson après l’offensive du Tet en 1968, largement considérée comme ayant marqué le « point de basculement » vers une opposition populaire à l’intervention de Washington en Indochine.

Une précédente enquête Ipsos-Associated Press indiquait un soutien un peu supérieur à la politique de Bush en Iraq (38%). Mais c’était déjà, au moment l’enquête, le niveau le plus bas jamais enregistré, et elle a été menée juste avant la mort des 14 Marines.

Un autre sondage, commandé par USA Today, CNN et Gallup, et publié quelques jours plus tard, révélait qu’une majorité des sondés pensait que la décision de partir en guerre contre l’Iraq était une erreur, qu’elle avait rendu les Etats-Unis plus vulnérable face au terrorisme et que les troupes US devaient se retirer. Un tiers des sondés demandaient que les troupes se retirent immédiatement.

Tensions dans l’Administration

Les tensions grandissantes au sein de l’Administration et parmi ses partisans ont également accentué la confusion.

Quand des Officiers haut placés ont commencé à émettre l’idée que Washington pourrait commencer à retirer un nombre significatif de ses 140000 troupes stationnées en Iraq au printemps prochain, c’est Bush lui-même qui a exclu cette hypothèse en la qualifiant de pure spéculation.

Cette discussion a accentué la prise de distance du Corps des Officiers vis-à-vis de la Maison Blanche et a incité plusieurs éminents Néo-Conservateurs à lancer une nouvelle série d’attaques contre le chef du Pentagone Donald Rumsfeld, qu’ils ont toujours accusé de ne pas être assez dévoué à la cause de la « transformation » de l’Iraq.

« Ce que le Président doit maintenant faire, c’est dire au Pentagone de cesser de parler du retrait (ou de le préparer) et s’assurer qu’ils préparent la victoire », écrit William Krsitol dans le Weekly Standard, ajoutant que « pour gagner, le Président a besoin d’un Secrétaire à la Défense qui veut se battre et qui est capable de gagner ».

Dans le Washington Post, Frederick Kagan, analyste militaire à l’American Enterprise Institute (AEI), met lui aussi en garde contre tous les propos évoquant le retrait, les qualifiant de « dangereux et injustifiés » et expliquant que « l’infanterie légère » et les forces de Police entraînées par Washington [en Iraq ndt] seront «  dépendantes, à de multiples niveaux, d’un soutien militaire US dans les années qui vont venir ».

Mais dans le même temps un collègue de Kagan à l’AEI, l’économiste Kevin Hassett, suggère que l’Iraq est désormais devenu un problème politique majeur pour Bush et les Républicains, un problème qui empêche selon lui la population de se rendre compte de la bonne santé de l’économie des Etats-Unis.

« Pourquoi les Américains sont-ils, dans tous les domaines, si amers ?  » demande-t-il cette semaine dans un éditorial pour Bloomberg. « C’est l’Iraq », répond-il, évoquant au passage l’imminence de la campagne pour les élections de l’année prochaine.

« L’affaire » Cindy Sheehan

A la grande surprise de nombreux observateurs, Bush, qui a au contraire passé 3 semaines dans son ranch à essayer par tous les moyens possibles d’éviter d’avoir une entrevue avec Cindy Sheehan, la mère d’un soldat US mort en Iraq, devenue une icône anti-guerre, n’a rien fait pour remédier à ce malaise grandissant.

Certes les médias partisans de Bush ont monté une prévisible campagne de dénigrement de Sheehan. Mais avec sa présence à « Camp Casey » et les images où on l’a vue, elle et ses supporters, en train de manifester silencieusement à Crawford, le refus de Bush de la rencontrer car « je pense qu’il est également important que je puisse mener ma vie » a semblé particulièrement inhumain.

La passivité des conseillers de Bush qui ont permis à Sheehan de dominer dans la couverture médiatique [des vacances de Bush] a également surpris les observateurs et renforcé l’impression que l’administration a non seulement perdu son habileté politique mais aussi qu’elle n’est pas capable de répondre aux questions que posent Sheehan et l’opinion publique dans son ensemble.

Confusion chez les Démocrates

Alors que la situation difficile de l’Administration favorise de toute évidence les Démocrates, les signes que l’Iraq pourrait pour eux aussi être une source de difficultés politiques se multiplient. Alors que d’éminents Démocrates de la Chambre des Représentants se sont déjà prononcés, à la différence de leurs collègues républicains, pour un retrait graduel d’Iraq, les figures les plus importantes du Parti au Sénat, desquelles émergera probablement le candidat pour la présidentielle de 2008, n’ont pour l’instant pas bougé de leur posture de faucons à propos de l’Iraq, de crainte d’être considérés comme « softs » au sujet des questions de Sécurité nationale.

Cependant, mercredi [17 août ndt], le Sénateur du Wisconsin Russell Feingold, un législateur d’habitude assez prudent, considéré comme un éventuel présidentiable, s’est rebellé contre d’autres candidats potentiels, dont Hillary Clinton et Joseph Biden, en demandant le retrait de toutes les troupes US d’Iraq d’ici à la fin 2006 et en demandant à ses collègues du Parti, « trop timides » de mener la bataille contre Bush sur cette question.

Ce défi est lancé au moment où plusieurs membres du Parti ont exprimé leur crainte grandissante devant le fossé qui se creuse de plus en plus entre la base démocrate qui soutient le retrait des troupes et des dirigeants de plus en plus « faucons » qui ont repris l’idée de Bush selon laquelle la crédibilité des Etats-Unis subirait des dégâts irréversibles si Washington échouait dans la pacification de l’Iraq.


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