La nouvelle constitution irakienne. Par Ghali Hassan.

La nouvelle constitution irakienne

Ghali Hassan

18 Août 2005

www.countercurrents.org

Traduit de l’Anglais par Julien Salingue.

Mes excuses pour les imprécisions éventuelles.

Les intertitres ont été rajoutés par mes soins. JS.

Les Etats-Unis poussent le « gouvernement » irakien à s’accorder sur un avant-projet de Constitution, qui divisera la peuple irakien et l’affaiblira en tant que nation. Cet avant-projet de nouvelle constitution est basé sur la Transitional Administrative Law (TAL) de novembre 2003, Constitution intérimaire illégitime rédigée par les Etats-Unissur la base du carnet de notes de Paul Bremer, qui était alors le proconsul US à Bagdad. L’objectif de ce texte est la colonisation de l’Irak et la privatisation complète de l’économie irakienne.

Pourquoi une Constitution ?

Selon la TAL, signée en mars 2004, le nouvel avant-projet devait être approuvé par le Parlement avant le 15 août et soumis à un referendum avant le 15 octobre. Si l’avant-projet est approuvé, il ouvrira la voie à de nouvelles élections générales en décembre. « Si l’avant-projet est rejeté, l’Assemblée Nationale devra être dissoute. Des élections pour la réélire devront se tenir avant le 15 décembre  ». L’actuel « gouvernement » irakien n’a donc pas d’autre choix que de s’entendre sur l’avant-projet ou de dissoudre comme l’exige la TAL. Mais en fait, durant les quelques jours de délai supplémentaire, les collaborateurs n’ont qu’une option : être prudents.

En effet, l’intense pression des Etats-Unis, orchestrée par le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et l’émissaire colonial étatsunien à Bagdad, Zalmay Khalizad, et appuyée par la présence de plus de 160000 soldats étatsuniens et mercenaires étrangers, révèle la place importante qu’occupent l’avant-projet de Constitution et son calendrier d’adoption dans l’ordre du jour impérial.

L’administration Bush a besoin de cette campagne de propagande pour prouver au monde que sa politique va dans le bon sens (« il y a des éléments positifs en Irak ») et que la « démocratie » se « répand ». « Le processus constitutionnel n’est rien d’autre qu’un placebo pour les électeurs étatsuniens… Bush doit au moins être capable de présenter quelques succès sur le terrain politique » écrit le quotidien allemand Die Tageszeitung.

Récemment, Khalilzad a averti le « gouvernement » irakien que l’occupation US devrait se poursuivre et que l’économie devrait être privatisée et revendue à des firmes étatsuniennes. Le Washington Post rapporte que Khalilzad a tenté de sortir de l’impasse en présentant un avant-projet de Constitution élaboré par les Etats-Unis. « Les Etatsuniens disent qu’ils n’interviennent pas, mais en réalité ils sont intervenus intensément », a déclaré au Washington Post (13 août) Mahmoud Othman, membre du comité qui élabore la Constitution. « Ils nous ont donné une proposition détaillée, presque une Constitution complète. Les officiels US sont plus intéressés par la Constitution que ne le sont les Irakiens eux-mêmes » a-t-il ajouté.

Il n’y a pas besoin de réécrire la Constitution irakienne. C’est une des Constitutions les plus laïques et les plus progressistes du monde musulman. La changer ne sert que les intérêts étatsuniens.

Pendant ce temps, sur le terrain, les Irakiens sont laissés dans l’obscurité au sujet de leur « nouvelle Constitution », malgré leur rejet écrasant de l’occupation. Comme les élections, frauduleuses et basées sur des critères religieux, du 30 janvier, la Constitution sera vendue aux Irakiens dans un paquet-cadeau. Les Irakiens ordinaires « vous posent des questions sur la sécurité, l’électricité, l’eau, la fin de l’occupation, la fin des assassinats, des viols » rapporte Robert Fisk, journaliste de l’Independent à Bagdad.

Divisions artificielles

Le « gouvernement » actuel (les Kurdes et le Conseil Suprême de la Révolution Islamique en Iraq (CSRII)) n’a aucune crédibilité auprès de la majorité du peuple irakien. Il a été mis en place à cause de l’occupation US et a depuis trahi le peuple irakien en abandonnant sa rhétorique préélectorale et l’exigence du retrait complet des troupes étrangères. Ce « gouvernement » a aussi échoué à apporter la sécurité et les conditions de vie les plus élémentaires demandées par la population irakienne. Sa survie repose essentiellement sur la présence des forces d’occupation.

Les seigneurs de guerre kurdes, fidèles alliés des Etats-Unis, détiennent plus de 25% des voix à l’Assemblée. Leur comportement et leur intransigeance aura des conséquences pour plus de 85% de la population irakienne. Le deuxième groupe est la coalition CSRII-Parti Da’awa, un rassemblement d’expatriés pro-Iran et de Mollahs iraniens dirigé par l’actuel « Premier Ministre » Ibrahim Al-Jaafari et son adjoint Ahmed Chalabi. La fraction pro-Iran du « gouvernement » et les seigneurs de guerre kurdes cherchent à protéger leurs intérêts propres et à fragmenter l’Iraq sur des bases ethniques et religieuses par l’intermédiaire du « fédéralisme », un euphémisme pour qualifier la division de la nation irakienne.

L’idée [de division NDT] fut pour la première fois introduite en 1991 avec la campagne illégale et criminelle de bombardements Américano-britanniques sur des villes et villages irakiens, dite « campagne des zones d’exclusion aérienne », qui divisa l’Iraq en 3 parties. Elle a pris un nouvel élan depuis l’invasion de Mars 2003 et la mise en place d’un gouvernement intérimaire fondé sur des bases ethniques. Les lignes de démarcation religieuse et ethnique n’existaient pas avant la guerre génocidaire Américano-britannique. « Des termes comme Sud chiite, Centre sunnite et autres, ne font que refléter la volonté de puissances étrangères de diviser l’Irak », écrit Muwaffaq Rifai, rédacteur en chef à Bagdad du quotidien Al-Manara. Depuis ses débuts, l’Etat irakien n’a jamais considéré ses citoyens du point de vue ethnique ou religieux, mais plutôt du point de vue de leur loyauté à l’égard de l’Etat. Il est vrai qu’il y a diverses zones de concentration démographique en Iraq, mais les Irakiens se pensent comme un peuple.

Ignorant que tous les Irakiens, Arabes et Kurdes, sont des Musulmans et une petite minorité de Chrétiens, les grands médias occidentaux s’efforcent de mettre en avant les divisions religieuses et l’idée de partition de l’Iraq. Nous devons nous souvenir qu’avant la guerre les Irakiens vivaient en harmonie sans se préoccuper des affiliations religieuses. Un million de Kurdes vivent à Bagdad, ce qui en fait la plus importante concentration en Iraq. Se sentent-ils menacés par les autres Irakiens ? Absolument pas ! « Les Irakiens se définissent de plus en plus avec des critères qui n’étaient pas courants avant [l’invasion] », déclare à Reuters le Docteur Harith Hassan, un célèbre psychiatre irakien. « Des enfants peuvent avoir un père chiite et une mère sunnite, et ne pas trop savoir comment se définir, mais ils sont forcés à le faire en choisissant l’un ou l’autre  », ajoute-t-il. La nouvelle maladie de la division religieuse et des conflits fratricides est le produit de l’occupation US et de la politique étatsunienne à l’égard de l’Iraq.

La TAL de Bremer permet à 3 des 18 provinces de décider, si elles le souhaitent, de former ensemble une région autonome, et confère un veto effectif aux Kurdes sur la nouvelle Constitution, puisqu’elle [la TAL ndt] stipule qu’elle ne pourra être amendée qu’avec 75% des voix au Parlement. Rappelons que les élections ont été boycottées par plus de la moitié de l’électorat irakien potentiel, et que le résultat final a été truqué par les Etats-Unis en faveur des listes Kurdes et de la liste d’Allawi. Les élections n’ont pas donné engendré un gouvernement mais une impasse politique. L’objectif [des Etats-Unis ndt] est de laisser les collaborateurs se battre entre eux tandis que les richesses de la nation sont détournées au profit de l’armée et des firmes privées étatsuniennes.

La colonisation et le pillage se poursuivent

Tandis que les grands médias occidentaux se concentrent sur le fantasme malveillant du « rôle de l’Islam » dans la nouvelle Constitution, les droits des femmes (les plus égaux et progressistes dans toute la région avant l’occupation) et la répartition des pouvoirs entre les collaborateurs, les aspects économiques et la colonisation de l’Iraq sont délibérément passés sous silence.

Je n’ai pas encore évoqué les 100 ordonnances promulguées par Paul Bremer pour privatiser et vendre l’économie et les ressources irakiennes, la principale cause de l’invasion et de l’occupation de l’Iraq par les Etats-Unis. Antonia Juhasz, de Foreign Policy in Focus, a de manière appropriée parlé de « l’invasion économique de l’Irak par Bush ». Les Etats-unis ont entrepris une privatisation totale et une colonisation de l’économie irakienne. La plus brutale des 100 ordonnances de Bremer et l’ordonnance 39 qui, en résumé, a obligé la vente de 200 entreprises d’Etat irakiennes en vue de leur privatisation et a donné le contrôle total des banques, des usines et des mines irakiennes à des entreprises étrangères. Ces entreprises peuvent transférer tous leurs profits en-dehors de l’Iraq.

Autre exemple, l’ordonnance 81, dont le rôle est de détruire le secteur agricole irakien et de transformer l’Iraq en consommateur et non plus en producteur de nourriture pouvant subvenir aux besoins de la population irakienne. La mesure 81 prive les agriculteurs du droit de récupérer et de replanter les graines, un droit vieux de 10000 ans. Tandis que la Constitution interdit la vente de ressources biologiques, l’ordonnance 81 va tout simplement permettre aux Etats-Unis de prendre le contrôle de l’agriculture irakienne et de l’offrir à Monsanto et d’autres firmes étatsunienne du même type. Cette mesure est tout simplement une menace pour la sécurité alimentaire de l’Iraq.

De plus, les Etats-Unis introduisent une nouvelle loi sur le pétrole pour revenir sur le caractère nationalisé du pétrole irakien (un droit légitime des Irakiens) et l’offrir, en définitive, aux firmes US.

Mises ensemble, les 100 ordonnances représentent un vol impérial à main armée des ressources irakiennes. Ces mesures imposent, sous la menace du fusil, une économie néo-libérale de marché sous le contrôle de firmes privées étatsuniennes. Personne ne devrait oublier que ces mesures ont été promulguées par une armée d’occupation étrangère sans le consentement de la population, et qu’en conséquence elles sont illégales et illégitimes. La seule façon pour les Etats-Unis de poursuivre leur entreprise de colonisation de l’Iraq et de pillage des ressources naturelles irakiennes est maintenant d’installer un gouvernement pro-US, dépendant de la protection des Etats-Unis et sans velléité de totale indépendance.

Crimes de guerre

Nous savons maintenant que le prétexte de l’invasion était un mensonge flagrant (un mensonge qui constitue une des plus sérieuses déformations de la vérité de toute l’Histoire moderne) afin de commettre un « Crime International Suprême ». Tous les jours depuis le début de l’invasion US, les droits humains et démocratiques les plus fondamentaux du peuple irakien sont violés par les troupes US et les mercenaires étrangers. Des maisons sont forcées et des personnes sont arrêtées, emmenées, emprisonnées et torturées au motif de leur supposée participation à la légitime résistance irakienne. Des rues et des villes sont bouclées et des routes bloquées. Des régions entières sont sous couvre-feu et interdites d’accès. Des grèves légitimes ont été déclarées illégales, la liberté de la presse a disparu il y a bien longtemps, la culture de la corruption, inconnue en Iraq jusqu’à l’invasion, a été introduite, et des manifestations sont régulièrement dispersées dans le sang par des soldats US « à la gâchette facile ». La nouvelle Constitution irakienne permettra-t-elle de poursuivre en Justice les troupes étrangères qui ont commis des crimes de guerre contre les Irakiens ?

Plus de 100000 Irakiens innocents ont été tués. La grande majorité d’entre eux étaient des femmes et des enfants. Et l’estimation est très prudente. Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont emprisonnés et torturés chaque jour par les forces étatsuniennes. Ces pratiques criminelles ont forcé le Chef d’Etat Major Interarmées, le Général Richard Myers, à se démener (à la Cour Fédérale des Etats-Unis) pour empêcher la publication de nouvelles preuves de torture et d’abus sur des prisonniers irakiens à Abu Ghraïb, expliquant que cela faciliterait le recrutement de nouveaux combattants « islamistes » et que « cela mettrait en danger des vies américaines ». Dans ce cas, pourquoi continuer à commettre ces crimes contre le peuple irakien ? Ne serait-il pas plus sûr d’arrêter ces pratiques ?

La violence US en Irak se poursuit, rapporte Knight Ridder Newspaper : « Des habitants de [Al-Tagiliah], un village au Nord de Bagdad, ont dit que deux fermiers du village et cinq d’un autre village ont été tués par des soldats US qui leur ont tiré dessus alors qu’ils arrosaient leurs champs de tournesols, de tomates et de concombres ». Le 13 août 2005, Swiss News rapportait que « des troupes US ont ouvert le feu de manière indiscriminée immédiatement après une explosion, tirant sur des personnes qui sortaient de la mosquée. Le directeur de l’Hôpital Ramadi a affirmé que « 15 personnes ont été tuées, dont 8 enfants, et 17 blessées »  ».

Au mépris total des concepts de civilisation et d’humanité, la nation irakienne tout entière a été délibérément détruite. Le patrimoine culturel national a été pillé et détruit, et les systèmes de santé et d’éducation ont été anéantis. Le pays n’a toujours pas de système de ravitaillement en électricité fiable, ni d’eau potable. Les conditions de vie des Irakiens ont empiré, et de nombreux Irakiens admettent ouvertement que les conditions de vie avant l’invasion étaient meilleures et plus sûres.

Les meurtres quotidiens d’Irakiens innocents par les forces US ne sont pas des informations d’après la machine de guerre et de propagande que sont la BBC et ses équivalents dans la coalition Anglo-américaine. Les médias occidentaux ont délibérément déshumanisé les Irakiens dans les consciences occidentales, et maintenant il est couramment admis en Occident que les vies des non-Occidentaux ne comptent pas. Le but recherché est de normaliser les atrocités commises au nom de la « démocratie » et de la « liberté » occidentales. Comment les Etatsuniens peuvent-ils espérer que les Irakiens les apprécient ? L’extrême brutalité employée par les Etats-Unis pour étendre son hégémonie impériale ne donnera pas les résultats attendus.

Quel avenir pour l’Iraq ?

La nouvelle Constitution de fabrication étatsunienne est imposée par une occupation militaire étrangère. Elle a pour fonction de maintenir l’Iraq dans une position de dictature coloniale administrée par les forces US avec en façade des collaborateurs irakiens. Cela privera les Irakiens non seulement de leurs droits démocratiques et humains, du contrôle de leur avenir économique, mais aussi de leur indépendance et de leur souveraineté nationales. Par conséquent, la résistance irakienne à l’occupation « est tout à fait rationnel[le] et la seule solution est un retrait rapide des troupes américaines et le retour du pays à la pleine souveraineté », comme l’écrit Alain Gresh, du Monde Diplomatique.

Le peuple des Etats-Unis devrait avoir honte d’avoir autorisé son gouvernement à envahir et à occuper une nation sans défense. Ce qui est encore plus honteux, c’est qu’il autorise son gouvernement à commettre chaque jour des crimes de guerre en son nom. Les Etatsuniens ne peuvent prétendre vivre en « liberté » alors qu’ils privent un autre peuple de ses libertés fondamentales. Le seul acte honorable qui rendrait leur dignité aux Etatsuniens serait qu’ils exigent de leur gouvernement le retrait total et immédiat des troupes US d’Iraq.