Ce n’est pas le retrait qui menace les Irakiens d’une guerre civile, mais c’est l’occupation

Une fiction aussi puissante que les Armes de Destructions Massives

Ce n’est pas le retrait qui menace les Irakiens d’une guerre civile, mais c’est l’occupation

Sami Ramadani, 5 juillet 2005, The Guardian

Sami Ramadani, réfugié politique sous Saddam Hussein, est professeur à la London Metropolitan University

La plupart des gens en Grande-Bretagne veulent que les troupes se retirent d’Irak - et c’est ce que veulent aussi la plupart des Irakiens, selon les sondages d’opinion. Les syndicats appellent à un retrait rapide, ainsi que certains Parlementaires travaillistes et Libéraux-démocrates. Mais beaucoup de personnes bien intentionnées avancent que l’occupation menée par les USA ne doit finir que lorsque le pays sera stable. Un retrait rapide, craignent-ils, plongerait le pays dans la guerre civile.

En un sens, cette position est la même que celle de Bush et de Blair, qui disent assez logiquement que les troupes ne resteront pas en Irak "un moment de plus que nécessaire", et qu’elles se retireront lorsqu’un gouvernement élu démocratiquement leur demandera de le faire. En réalité, avec plus de 200.000 soldats et auxiliaires étrangers au contrôle en Irak, un gouvernement même élu devra sa survie à l’occupation.

La haine du peuple de cette occupation s’est reflétée dans la pétition signée par 82 des 275 membres de l’assemblée nationale, appelant à un retrait rapide, après que le premier ministre Ibrahim al-Jaafari, ait montré qu’il rompait ses promesses électorales d’insister pour avoir un agenda de retrait. Jaafari a continué à se renier de la manière la plus humiliante, en se tenant a côté de George Bush à la Maison Blanche, pendant que le président américain déclarait : « J’ai dit au Premier ministre qu’il n’y aura pas d’agenda de retrait. »

Il ne serait pas juste d’écarter les craintes de ceux qui plaident pour "un retrait, mais pas maintenant", uniquement parce que c’est aussi la position de Bush et de Blair. Mais ceux qui sont authentiquement préoccupés à propos de ce retrait, devraient examiner les faits sur le terrain avant d’accorder leur soutien à la poursuite de l’occupation.

Quelques commentateurs en faveur de la guerre, avaient averti très tôt que le pays serait embrasé par la violence communautaire : les Shiites voudraient prendre leur revanche sur les Sunnites ; les Kurdes se vengeraient du règne de Saddam, en massacrant les Arabes ; et la communauté chrétienne serait liquidée.

Ce qui s’est passe en réalité a balayé ce genre de spéculations. Dans les deux semaines qui ont suivi la chute de Bagdad, des millions de personnes ont convergé vers Kerbala en chantant : "Ni Amérique, ni Saddam". Pendant des mois, Bagdad, Bassora et Nadjaf ont été inondées de manifs contre l’occupation, dont le slogan principal était : "Ni Sunnites, ni Shiites, cette patrie, nous n’allons pas la vendre".

On pouvait s’attendre à de telles réactions, étant donné l’histoire de la lutte contre le sectarisme en Irak. Mais les chefs de guerre ont réagi en détruisant les fondations de l’Etat et en suivant la vieille politique coloniale de diviser pour régner, imposant un modèle sectaire à chaque institutions qu’ils établissaient, notamment dans les dispositions pour les élections de janvier.

Quand il est devenu clair que les zones les plus pauvres de Bagdad, et le sud étaient encore plus hostiles à l’occupation que ne l’étaient les soi-disant "villes sunnites" - répondant à l’appel aux armes de Moqtada al-Sadr - Bush et Blair ont essayé de défaire la résistance embryonnaire, sous le prétexte de "se battre contre des terroristes étrangers". Abu Musab al-Zarqawi a été promu pour remplacer Saddam en tant qu’épouvantail en chef, pour encourager les tensions communautaires et isoler la résistance.

Cette propagande a mieux marché à l’extérieur qu’en Irak. En effet les Irakiens accusent généralement l’occupation de tous les actes de terrorisme, et pas ce qui est désigné affectueusement sous le terme de "l’honorable résistance". Mais en Grande-Bretagne et aux USA, beaucoup de gens ont des sentiments ambigus, voire hostiles envers la résistance populaire.

Ce discours communautariste de l’occupation a acquis une prise aussi puissante que la fiction des Armes de Destructions Massives, qui avait préparé le public pour la guerre. Les Irakiens sont dépeints comme un peuple impatient de s’entretuer dès qu’ils seront laissés à eux-mêmes. En réalité c’est l’occupation qui est le principal architecte des divisions institutionnalisées en sectes et en ethnies ; le retrait agirait comme un catalyseur pour que les Irakiens résolvent politiquement certaines de leurs différences. Il y a quelques jours à peine, les membres de l’assemblée nationale qui avaient signé la déclaration contre l’occupation ont rencontré des représentants de la Foundation Congress [congrès de base ?], un groupe de 60 organisations religieuses et séculaire, ainsi que le mouvement d’al-Sadr, et ils ont publié un appel conjoint pour un retrait rapide des forces d’occupation selon un agenda garanti internationalement.

Il y a maintenant un large accord en Irak pour construire un pays démocratique, non divisé en sectes, qui garantisse des droits nationaux aux Kurdes. L’occupation rend la réalisation de ces objectifs plus difficile.

Jour après jour, l’occupation accroît les tensions et aggrave les conditions de vie des gens, alimentant la violence. La création d’un régime client à Bagdad, soutenu par des bases permanentes, est la voie qu’avaient suivi les stratèges US au Vietnam. Comme au Vietnam, la résistance populaire en Irak, et plus largement dans le Moyen Orient ne va pas disparaître, mais va être de plus en plus forte, jusqu’à ce qu’ils s’unissent finalement pour forcer les anglo-américains à partir.

Combien d’Irakiens, d’Américains et de Britanniques devront encore mourir avant que Bush et Blair admettent que l’occupation est le problème, et non une partie de la solution ?