« La situation se détériore de jour en jour ». Dahr Jamail.

« La situation se détériore de jour en jour »

Dahr Jamail

30-05-2005

Traduit par Jean-Marie Flémal

La pagaille se poursuit en Irak. Aujourd’hui, au moins 40 personnes ont été tuées, y compris cinq soldats américains dans la province de Diyala, au moment où se poursuivent les ravages de l’occupation ratée dirigée par les Etats-Unis.

À Hilla, au sud de Bagdad, deux porteurs de bombes suicides se sont fait sauter au moment où ils se trouvaient au milieu d’une foule de policiers. Les policiers manifestaient à proximité du bureau du maire afin de protester contre la décision du gouvernement de dissoudre l’unité des Forces spéciales.

Ce matin, lors d’une autre initiative horrible de « public relations » (ou de tentative de susciter des tensions entre groupes ?) de la part de l’armée américaine, le chef du principal parti politique sunnite de l’Irak, Mohsen Abdul Hamid, a été arrêté chez lui, dans l’ouest de Bagdad. Naturellement, on lui a aussitôt couvert la tête et on l’a menotté avant d’être embarqué pour interrogatoire. Ses trois fils ont également été arrêtés en même temps que lui. Bombes et balles paralysantes ont, paraît-il, été utilisées durant l’opération, a déclaré son épouse.

Il se fait précisément que son parti, le Parti islamique, s’oppose à la nouvelle opération de sécurité appuyée par les Américains et qui ceinture désormais Bagdad, parce qu’il estime que les forces de sécurité ne respecteront pas les droits des Irakiens innocents.

Un peu plus tard, dans la journée, l’homme a été relâché et l’armée reconnaît avoir commis une erreur.

La déclaration militaire concernant l’affaire disait : « Les forces de la coalition regrettent tous ces désagréments et remercient Abdul-Hamid pour sa coopération dans la résolution de ce problème. »

Abdul Hamid a refusé leurs excuses dans les médias arabes et a déclaré avoir été humilié lorsque les soldats américains ont posé leurs bottines sur sa tête durant 20 minutes. Il a également été déclaré qu’il accusait les soldats américains d’avoir enlevé des objets chez lui, y compris un ordinateur. C’est le mode d’opération standard lors des intrusions domiciliaires - je ne pourrais vous dire combien d’Irakiens j’ai interviewés après que leurs domiciles ont été visités et qui se plaignent de vols d’argent, de bijoux et d’autres possessions commis par les troupes américaines.

Après la libération d’Abdul Hamid, le Parti islamique a sorti une déclaration disant : « L’administration américaine prétend être intéressée par le fait d’accueillir les sunnites dans le processus politique, mais il semble que sa façon d’agir en ce sens consiste en raids, en arrestations et en viols des droits de l’homme. »

Au moins 740 Irakiens ont été tués depuis que le nouveau « gouvernement » a pris le pouvoir fin avril et, avec les opérations en cours qui déclenchent plus d’attentats encore chaque jour, il ne semble pas que la fin de tout cela soit en vue. N’oubliez pas que la grande majorité des forces de sécurité irakiennes sont soit des chiites, soit des Kurdes luttant contre une résistance majoritairement sunnite (pour l’instant). On peut aisément affirmer, par contre, que nous sommes confrontés à un gouvernement irakien appuyé par les Etats-Unis et qui utilise intentionnellement son pouvoir à la conduite d’une guerre civile.

A propos, aujourd’hui, le général major Ahmed al-Barazanchi, un Kurde qui était directeur des Affaires intérieures de la province de Kirkuk, est décédé ce matin après avoir été abattu hier.

Mes sources à Bagdad m’ont également dit qu’il y avait eu de violents heurts aujourd’hui dans le district d’al-Amiriya, à Bagdad, entre des combattants de la résistance et des soldats irakiens et américains. « De véritables affrontements armés en pleine rue », m’a dit un ami. « Et dès que les soldats irakiens et américains quittent la zone, la résistance en reprend aussitôt possession. »

N’oubliez pas que tout ceci se passe dans un contexte comprenant 50% de chômage, d’horribles embouteillages sur les routes et une infrastructure en ruines qui continue à se détériorer et sans que soit entreprise la moindre tâche de reconstruction à Bagdad.

« Les coupures de courant nous rendent dingues dans la chaleur de cet été », m’a écrit récemment un ami. « Nous ne pouvons même pas lire la nuit à cause des longues heures de coupure de courant et du fait que les générateurs extérieurs ne peuvent tenir le coup durant ces longues heures sans que nous ayons à les arrêter pour leur permettre de refroidir. »

Et de poursuivre : « Deux années d’occupation. Pour l’amour de Dieu, où est cette reconstruction, où diable sont ces milliards de donations prévus pour l’Irak ? Même pas 1% d’amélioration dans les services et dans l’électricité ! Ils ne cessent de répéter qu’il faut en blâmer les terroristes et je serais disposé à les croire, mais pourquoi ne protègent-ils pas ces installations ? Les camps américains subissent-ils des coupures de courant, eux ? Non, non et non. Et personne ne permettra que cela se produise... Mais pour ce qui est des pauvres Irakiens, personne ne sera désolé pour eux s’ils brûlent dans l’enfer de l’été, si les gosses et les vieillards sont déshydratés en raison du manque de courant, d’eau froide, etc. Avez-vous entendu parler de ce thé mélangé à de la limaille de fer ? C’est la réalité de nos existences. Les gens doivent s’assurer que leur thé ne contient pas de fer en utilisant des aimants. »

Il concluait son e-mail en ces termes : « La situation se détériore de jour en jour. L’Irak est devenu un pays hostile à son peuple. Chaque jour, il nous vient à l’esprit que, tôt ou tard, il va nous falloir quitter ce pays et en chercher un autre. Un proverbe dit : ‘Ta maison, c’est là où tu peux dormir en toute sûreté’, mais ce n’est plus vrai en Irak. »

Il m’avait adressé cet e-mail voici trois jours.

Hier, le gouvernement irakien a annoncé qu’il pourrait réduire les subsides pour le carburant et l’électricité, malgré une sévère pénurie des deux dans le pays. De son côté, le ministre de l’Electricité a prévenu les Irakiens de ce qu’il y aurait davantage de coupures cet été.

La pénurie actuelle en carburant, combustible, électricité et eau potable persiste et 37% des Irakiens bénéficient d’un système d’égouttage en état de marche.

Mais la majorité de mes amis irakiens continue à l’affirmer : « Voici la liberté et la démocratie que nous a apportées l’Amérique... »