Prisonniers : Interview d’Abu Ahmed (Ayed Morrar) de Budrus

Prisonniers : Interview d’Abu Ahmed (Ayed Morrar) de Budrus

Par Patrick O’Connor

Comme beaucoup de volontaires internationaux de l’ISM, j’ai été inspiré par les Palestiniens avec qui nous travaillons depuis que nous soutenons la résistance non violente à l’occupation militaire israélienne. J’ai été toujours secoué par les histoires de torture et d’emprisonnement que nos collègues palestiniens ont supportées au cours de leurs vies, et stupéfié par le fait qu’en dépit de ces expériences terribles, ils soient à la tête de résistance non violente Palestinienne.

Au cours de mes 19 derniers jours en prison israélienne, j’ai eu le temps de réfléchir sur la chance que j’aie d’être un étranger et donc de bénéficier d’un traitement privilégié tout particulièrement en comparaison au traitement des Palestiniens en prison. Au cours des derniers jours, j’ai eu le temps d’interviewer certains de nos collègues palestiniens sur leur expérience en prison.

Ce qui suit est le premier de ces témoignages :

Pour ceux qui ne connaissent pas Abu Ahmed (Ayed Morrar) de Budrus, il a été un des premiers leaders de la résistance non-violente contre le Mur à Budrus et et ses environs dans le district du nord-ouest de Ramallah.

Budrus est un petit village qui a lancé l’une des campagnes non violentes les plus réussies contre le mur. Abu Ahmed a été une inspiration pour tous ceux qui ont eu le privilège de travailler avec lui. Il est doux, généreux, un ami merveilleux, un excellent penseur et orateur, et brillant en tant qu’organisateur et meneur des manifestations pacifiques.

Ci-dessous, son histoire que j’ai traduit de l’Arabe

J’ai été emprisonné cinq fois depuis 1981soit un total d’environ six ans.

J’ai été arrêté la première fois en 1981. J’avais 16 ans. J’ai été accusé d’appartenir à un groupe militaire armé. C’était complètement faux, mais j’ai finalement compris que c’était ma punition pour m’être exprimé contre l’occupation militaire israélienne. J’ai été détenu pendant trente jours. Pendant les dix-huit premiers jours de mon interrogatoire, j’ai été frappé et torturé continuellement.

En 1985, j’ai été arrêté encore sur les mêmes fausses accusations. Encore une fois, j’ai été détenu pendant trente jours, et j’ai été frappé et encore torturé pendant les dix-huit premiers jours de mon interrogatoire.

En 1989 j’ai encore été arrêté et emprisonné pendant trois mois. Cette fois j’ai été détenu pour "raisons de sécurité", et accusé d’être un chef des Jeunes du Fatah. Tout ce que j’avais fait, c’était faire des discours et éduquer les autres. A cette époque, la jeunesse palestinienne était régulièrement emprisonnée pendant six mois pour avoir seulement levé le drapeau palestinien ou pour avoir écrit des slogans sur des murs. Lors de ces trois mois en prison, il n’y avait pas assez de nourriture. Nous n’avons pas eu de vêtements assez épais ou adaptés à l’hiver.

Après ma libération, on m’a dit que les services de sécurité israéliens avaient l’intention de m’assassiner. J’ai passé les 3 années et demi suivantes dans les montagnes et à courir constamment. Pendant cette période, j’ai servi en tant que chef local du Fatah pour Budrus et les environs.

En 1990, pendant une manifestation, j’ai reçu des balles dans la jambe, dans le bras et à 5 cm du coeur. Je crois que cette balle était censée me tuer. Mais j’ai survécu.

En 1993, je visitais une maison dans le village de Bir Zeit. J’étais là depuis 15 minutes quand la maison a été cernée par 400 soldats israéliens. J’ai téléphoné à beaucoup de gens et je leur ai dit ce qui arrivait.

Dès que j’ai été arrêté, sept agents des renseignements israéliens ont commencé à m’interroger. Ils m’ont dit "vous avez des armes et vous avez un groupe". Je leur ai dit que j’avais ni l’un ni l’autre. Ils ont dit : "C’est votre dernière chance d’avouer". J’ai répété la vérité.

Un des officiers a alors dit à un autre en hébreu : "Prends-le et finis-le". Un autre agent a répondu : "Il y a un photographe sur la colline au-dessus." Ils ont alors décidé de ne pas m’exécuter. Le photographe était venu suite à mes appels téléphoniques juste avant mon arrestation.

Ils m’ont alors interrogé pendant 83 jours. Pendant les 55 premiers jours, j’ai été torturé avec l’utilisation de la méthode du "shebeh". Le shebeh implique d’être assis sur une chaise non équilibrée avec des pieds de différentes longueurs de sorte que vous ne pouvez pas rester en équilibre et détendre vos muscles du dos ou du ventre. Mes mains et pieds étaient attachés à la chaise et à un sac sale était enfoncé sur ma tête.

J’ai été maintenu continuellement en position du shebeh pendant 55 jours avec des coupures de seulement trois heures après chaque période ininterrompue de trois jours.

Pendant toute la période, ils diffusaient de la musique classique européenne à un volume très fort.

La première fois que j’ai été mis dans une petite cellule pour une coupure de 3 heures, je n’ai pas réalisé que ce serait ma seulement occasion de dormir. Plus tard, j’ai appris à tirer profit de ces trois heures.

J’ai été rarement autorisé à utiliser la salle de bains et harcelé à chauqe fois que j’y étais. Aussi, j’ai essayé d’éviter de boire beaucoup de liquide. J’ai commencé à développer une sorte de paralysie de ma main. La proposition de médicaments pour la soigner était utilisée comme chantage pour essayer de m’obliger à admettre des choses que je n’ai pas faites.

On m’a également dit que mon frère était sérieusement malade et que si je n’avouais pas, les autorités israéliennes seraient dures envers mon frère. J’ai été emmené pour voir mon frère qui était endormi sur une table également en prison. Plus tard, j’ai entendu une ambulance et on m’a dit que c’était pour mon frère. Tout cela s’est avérée être des mensonges pour me mettre la pression. Mon frère était endormi, mais pas sérieusement malade.

En dépit de cette pression et de la torture, je n’ai jamais admis quelque chose que je n’avais pas fait.

Au bout des 55 jours d’interrogatoire, j’ai commencé à avoir des hallucinations. Je voyais des cafards et d’autres animaux qui n’étaient pas là, et j’ai pensé que j’avais vu mon fils Ahmed. Dieu Merci, il s’est avéré que c’était mon dernier jour d’interrogatoire !

Après les 55 jours, j’ai été placé an isolement dans une cellule de 2m sur 2m pendant 27 autres jours. Cependant, de temps en temps, d’autres étaient mis avec moi dans la cellule en dépit de sa taille minuscule.

En octobre 1994, au début de la période d’Oslo, j’ai été condamné à 8 ½ ans de prison. Pendant cette période jusqu’en 1998, il s’est écoulé parfois une année sans que je sois autorisé à recevoir des visites et fréquemment je ne pouvais pas utiliser de téléphone.

Quelques prisonniers ont été libérés pendant le processus d’Oslo mais les juges israéliens ont refusé de me libérer. Les enseignements israéliens continuaient de prétendre que j’étais un dangereux chef du Fatah, et un chef d’un groupe extrémiste. En août, 1998 j’ai dit au juge israélien que si j’ai été emprisonné ou libéré, cela ne faisait aucune différence. Je resterais en faveur de la paix parce que la paix était dans l’intérêt de mon peuple. J’ai été enfin libéré.

Entre 1981 et 1998, les conditions d’emprisonnement s’étaient améliorées en raison de nos grèves de prisonniers et nos demandes incessantes.

En 1981, les prisonniers n’avaient qu’un matelas et une couverture. En 1998, nous avons eu des serviettes, des vêtements et nous pouvions acheter ce dont nous avions besoin à une cantine. Cependant aucun de ces avantages n’a été institutionalisé par les autorités des prisons. Si les autorités des prisons le souhaitaient, elles pouvaient supprimer ces avantages à tout moment, et nous avons été forcés de nous battre pour les obtenir de nouveau.

De plus, Israel refuse de traiter les prisonniers palestiniens en tant que prisonniers de guerre et de leur accorder leurs droits acquis en vertu du droit international. Au lieu de cela, nous sommes traités comme des criminels.

Après ma libération en 1998, je me suis impliqué dans les questions sociales locales. Je suis devenu un employé du ministère de l’Intérieur de l’Autorité Palestinienne et j’ai été également élu comme l’un des 17 représentants du Fatah pour le District de Ramallah.

Dans notre lutte pour nous libérer de l’occupation militaire, je pense que c’est une erreur pour nous de jouer sur le terrain dans lequel Israel veut nous voir jouer, celui des armes et de la violence. Nous devrions utiliser une stratégie non violente qui fait ressortir la réalité que nous sommes un peuple opprimé.

Quand le travail a commencé sur le mur de l’Apartheid sur les terres de Budrus, les hommes, les femmes et les enfants de Budrus se sont mobilisés pour lui résister pacifiquement.

Tout le village savait que le mur était un grand danger.

Nous avons effectué une série de 49 manifestations pacifiques contre le Mur.

212 Palestiniens ont été blessés pendant ces protestations par du gaz lacrymogène, des balles en acier recouvertes de caoutchouc, des balles réelles et des tabassages. 16 personnes ont été arrêtées, dont moi et deux de mes frères.

Cette fois, j’ai été arrêté chez moi à 1h30 du matin en janvier 2004. Un bruit fort à l’extérieur m’a affrayé ainsi que mes enfants, donc j’ai couru à la porte. J’étais étonné d’y trouver des soldats israéliens qui m’ont immédiatement arrêté en pyjama.

J’ai été placé en détention administrative pour des "raisons de sécurité" basées sur une preuve secrète.

J’ai été détenu au centre de détention d’Ofer.

A Ofer, les prisonniers sont détenus sous des tentes dans la pluie et le froid. Il faisait froid et nous manquions de nourriture suffisante. Toutes les maladies sérieuses ou mineures étaient traités de la même manière : en donnant aux prisonniers des comprimés d’acamol.

J’ai été libéré dix jours plus tard après une audition largement rendue publique où un juge israélien a décidé que je ne pouvais pas être retenu pour avoir protesté pacifiquement, en dépit des objections des renseignements israéliens.

Grâce à la résistance non violente de Budrus, le village est parvenu à sauver 1100 sur les 1200 dunums de notre terre qui étaient menacés par le mur.

Traduction : MG pour ISM-France