Bataille pour une capitale. Danny Rubinstein

Bataille pour une capitale

Danny Rubinstein

Haaretz

Les Palestiniens et leurs dirigeants n’en doutent pas, Israël et l’Autorité Palestinienne sont désormais engagés dans une bataille déterminante pour Jérusalem. D’ici quatre mois, quand le retrait sera terminé, la construction de murs et de barrières dans la région de Jérusalem-Est sera achevée, et quelques 250 000 arabes seront isolés de l’Autorité Palestinienne.

Même un spectateur impartial comprend qu’est en train de se mettre rapidement en place la disparition de Jérusalem-Est en tant que capitale des habitants arabes. A partir d’un certain moment, les faits eux-mêmes finiront par effacer dans la partie Est de la ville et de sa zone métropolitaine jusqu’à l’idée de Jérusalem-Est comme capitale palestinienne. Pourtant l’exigence d’avoir Jérusalem-Est pour capitale nationale reste à l’agenda national palestinien, peut-être est-elle même prioritaire par rapport à l’exigence d’une solution au problème des réfugiés. Il est évident pour chacun que sans accord final sur Jérusalem il n’y aura pas d’accord final du tout.

La première étape, pour isoler Jérusalem-Est de la Cisjordanie, avait consisté à bloquer l’entrée de Cisjordanie aux habitants de la ville. Les services de sécurité israéliens ont consacré des efforts considérables pour parvenir à ce changement, et ils pensent maintenant qu’il restera peu d’Arabes des territoires palestiniens à Jérusalem-Est sans les permis appropriés. La Police Israélienne et la Police des Frontières patrouillent dans les rues et les habitants de Cisjordanie qui sont pris sans permis sont arrêtés et sanctionnés.

Les conducteurs de minibus, qui sont le mode principal de transport dans les quartiers arabes, sont obligés de vérifier les papiers de leurs passagers. Et ils le font, sachant que si on les trouve avec des passagers sans documents appropriés, on leur confisquera leur véhicule. Et c’est tout aussi valable pour les conducteurs de véhicules privés.

Les habitants de Cisjordanie ont besoin de permis pour travailler, pour étudier, ou pour recevoir des soins médicaux à Jérusalem-Est. Les permis ne sont valides que trois mois, prorogeables, mais ce n’est pas tâche facile que d’obtenir lesdits permis. Des bouclages sont mis en place à certains moments de la semaine, ou bien les trajets prennent soudainement des heures. Ces dernières années, la plupart des institutions arabes de Jérusalem-Est qui employaient des habitants de Cisjordanie les ont licenciés et remplacés par des habitants de Jérusalem. C’est vrai, par exemple, des grandes écoles privées de la ville.

Il est toujours possible d’entrer dans la ville par les nombreuses failles existant dans le tracé tortueux des murs et des barrières. A Abu-Dis, il y quelques jours, on pouvait voir plein de gens escalader le mur en passant par l’une de ces failles. D’un côté, la police des frontières en alerte les a ignorés et, d’après le propriétaire de l’épicerie Ikarmawi toute proche, presque tous ceux qui escaladaient le mur avaient un permis légal. Sinon, ils n’auraient pas eu l’audaec d’entrer. Le mur, dans ce cas, n’est pas qu’un obstacle et un cloisonnement, c’est un instrument du contrôle israélien. Son existence soumet la vie des Palestiniens, leur activité économique, les services et la société en général, à la surveillance absolue d’Israël.

De nouvelles mesures, qui doivent prendre place dans les mois à venir, obligeront les habitants palestiniens de Jérusalem-Est à demander des permis avant de venir en Cisjordanie. Jusqu’à présent, quand les Arabes de Jérusalem allaient à Ramallah et à Bethléem, et de là au nord et au sud en Cisjordanie, ils le faisaient pratiquement sans difficulté. Leur carte d’identité israélienne, de couleur bleue, leur donnait la liberté de circulation à l’intérieur des territoires. Tout va changer quand les murs et les barrières seront terminés. Les lois concernant ces permis ne sont pas encore publiées, mais tout le monde sait qu’elles se préparent. Il y aura environ 10 entrées dans les murs et les barrières qui entoureront la ville.

A certains checkpoints, comme celui d’Erez sur la frontière nord de Gaza par exemple, il y a un « Bureau des Israéliens » qui s’occupe de tous ceux qui ont des papiers israéliens, dont les habitants de Jérusalem-Est. A Erez il y a principalement des épouses d’habitants de Gaza. En termes militaires, on parle de la réglementation qui concerne ces femmes comme du « Protocole des familles séparées ». Alors qu’il y a à Gaza des centaines de femmes qui correspondent à cette définition, il y a des milliers de familles séparées à Jérusalem-Est, et on a du mal à imaginer comment un pareil protocole pourra y être mis en oeuvre. Selon les données démographiques, les deux tiers environ des Arabes de Jérusalem-Est appartiennent à des clans d’Hébron, et une séparation, même partielle, de ces Jérusalémites de leurs familles, du leur travail et de leurs biens à Hébron, paraît impossible.

Les Juifs sont installés dans les quartiers de Jérusalem-Est depuis des années. Ce phénomène est manifeste dans nombre de maisons achetées ou prétendument confisquées par les universités religieuses juives, dans les allées qui flanquent les quartiers Juifs d’Haggai Street, de Shaar Haprahim, dans le quartier de Sa’adia, et à St John’s Hospice près de l’Eglise du Saint-Sépulcre.

Dans les environs du village de Shiloah (Silwan), des organisations israéliennes continuent d’acheter et de construire des maisons, et un petit quartier juif, Ma’aleh Zeitim, a été construit au-dessus de Shiloah à Ras al-Amud. On parle maintenant de faire partir le quartier général de la Police de Judée et Samarie et de laisser ce vaste quartier aux colons.

Des Juifs, pour la plupart des étudiants de yeshiva (universités religieuses juives) se sont aussi installés dans le quartier de Sheikh Jarrah, dans des bâtiments attenants à la tombe de Shimon Hatzadik et dans deux bâtiments proches de Musrara Maket à côté du consulat des Etats-Unis. La dernière inititative des Juifs dans les quartiers arabes de la ville inclut une opération, dont les détails ne sont pas encore connus, qui comprend l’achat par des Juifs, ou plus exactement, un bail de 99 ans, pour de grands bâtiments et des magasins arabes à Jaffa Gate plaza. Le propriétaire de ce précieux patrimoine immobilier est le patriarche de l’Eglise orthodoxe grecque, et les acheteurs juifs restent anonymes.

Nikos Papadimas, le responsables financier du patriarcat orthodoxe, qui se cache actuellement, a déclaré il y a deux jours dans une interview à un journal grec qu’il avait loué ces biens à des Juifs pour 310 millions de dollars.

Papadimas a ajouté qu’il avait conduit cette transaction avec la pleine connaissance et la totale approbation du patriarche de Jérusalem, Irineos I, pour sauver le Patriarcat d’une grave crise financière. Irineos, qui a démenti tout lien avec cette transaction, s’est rendu en Jordanie il y a deux jours au milieu d’une déferlante d’attaques parues dans les journaux, émises par l’Autorité Palestinienne, le gouvernement jordanien et les autres nations arabes qui réclament l’annulation immédiate (de la transaction).

Au c’ur du quartier arabe Jabal Mukaber, sur les pentes du quartier juif Amon Hanatziv, la construction d’un nouveau quartier juif a commencé, et il y a des plans pour ajouter des constructions dans la région de Waja au sud de Jérusalem, dans la grande zone ouverte entre Jérusalem et à Ma’aleh. Les récentes déclarations du ministre de la défense, Shaul Mofaz, à propos du projet de mise en chantier de milliers d’habitations dans la région ont provoqué un couac diplomatique. Les Palestiniens sont conscients que bâtir dans cette région risque d’éliminer toute possibilité d’utiliser la terre libre pour agrandir Jérusalem-Est et les grandes agglomérations palestiniennes, dont Al-Azaria (Bethany), Abu Dis, Anata, et al-Zaim.

Construire dans la région facilitera aussi l’achèvement du mur de séparation autour de Jérusalem et de Ma’aleh Adumim et rendra plus difficile la continuité territoriale entre le nord et le sud de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie.

Yehezkel Lein, de B’Tselem, association pour les droits de l’homme, dit qu’en procédant par « états de fait sur le terrain » et en conjuguant mur de séparation et constructions dans la région, on tient une recette efficace pour atteindre un point de non retour. En d’autres termes, les barrières et les murs qui sont actuellement en cours de construction pourront être démolis demain, mais s’ils sont étayés par des faits concrets comme les maisons juives installées à l’emplacement de ces murs, on aura créé une situation irréversible.

On ne connaît que trop les doléances concernant les mauvais traitements et les discriminations dans l’attribution des budgets et des services aux Arabes de Jérusalem-Est. Karim Jubran, un chercheur de B’Tselem du camp de réfugiés de Shuafat, cite un terme relativement nouveau dans le lexique discriminatoire de la zone Est de la capitale : « Les feux de signalisation de l’Apartheid ».

Il n’y a presque pas de feux de croisement dans les quartiers arabes de Jérusalem. Il y a des feux rouges surtout dans les rares endroits où il y a du trafic juif. Dans ces cas précis, par exemple les feux rouges au nord du carrefour de French Hill, le temps alloué au flux arabe venant de Shuafat est beaucoup moins important que le temps alloué aux voitures venant des quartiers juifs. Résultat : pendant des heures, toute la journée, il y a de longues files de véhicules qui attendent à l’intersection des routes « arabes ».

La municipalité de Jérusalem dit que les doléances concernant les discrimination à cette intersection sont nulles et non avenues, et que la durée des feux est proportionnelle au volume de la circulation.

Les Palestiniens sont conscients de la volonté de détruire les structures de la société arabe à Jérusalem, dans le but de judaïser complètement la ville. Récemment, il n’y a pas eu un jour sans conférences, déclarations et discours de leaders palestiniens et de leaders civils arabes à Jérusalem pour avertir que, si Israël reste libre de continuer à mettre ces mesures en place, un accord futur restera impossible.

Traduit par Carole Sandrel