Lettre ouverte à l’UNESCO

Lettre ouverte à l’UNESCO

Par Barghouti et Sfeir

Vendredi 4 mars 2005

"Comme nous le savons tous, l’UNESCO a joué un rôle éminent et hautement apprécié en encourageants sanctions et autres formes de boycott contre l’Afrique du Sud de l’Apartheid".

Entre Afrique du Sud et Israël : le deux poids deux mesures de l’UNESCO.

Cher Monsieur Matsuura (directeur de l’Unesco),

C’est au nom de la Campagne Palestinienne pour le boycott d’Israël par les Universitaires et le Monde Culturel (PACBI) que nous vous écrivons pour exprimer notre profonde inquiétude quant au soutien qu’a récemment apporté l’UNESCO à l’établissement d’une organisation scientifique commune palestino-israélienne, qui de notre point de vue marque un sérieux revers pour la cause d’une paix juste en Palestine.

Sous le noble but d’un Jour Mondial de la Science pour contribuer à "à attirer l’attention des jeunes sur la science et ses objectifs qui sont en harmonie avec leurs propres aspirations", on transmet un autre message, subtil, et pourtant gravement préjudiciables sur le plan politique.

En soutenant la création d’une Organisation Israélo-Palestinienne pour la Science (IPSO) l’UNESCO entre de fait en contradiction avec la décision du Conseil Palestinien pour l’Enseignement Supérieur qui a constamment rejeté « toute coopération technique et scientifique entre les universités palestiniennes et israéliennes »

Ce geste entre aussi en contradiction avec l’appel palestinien à boycotter les institutions universitaires israéliennes, appel qu’ont approuvé des dizaines d’organisations parmi les unions, les associations et les organisations les plus importantes de Cisjordanie et de Gaza occupés, y compris par la Fédération des Unions Universitaires Palestiniennes de Professeurs et d’Employés

De plus, en bénissant l’IPSO, l’UNESCO fournit une couverture internationale à la volonté israélienne à peine voilée d’améliorer son image dans le monde et son statut dans les organisations des Nations Unies sans avoir à se plier à la loi internationale, qui réclame la fin de son occupation illégale, entre autres formes de son oppression du peuple de la Palestine.

On utilise des activités apparemment innocentes, avec de nobles buts et parfois de bonnes intentions, mais le plus souvent sans, pour donner l‘impression que si les Palestiniens et les Israéliens travaillaient ensemble sur des projets scientifiques, environnementaux, culturels ou sanitaires, ils rendraient, d’une certaine façon, la paix plus accessible, ou plus réalisable. Rien ne serait plus éloigné de la vérité.

Les projets communs déclarés apolitiques sont les plus ouvertement politisés puis que délibérément, ils ne tiennent pas compte du contexte d’oppression coloniale et laissent fallacieusement entendre qu’on peut atteindre la paix sans s’occuper des racines et des causes du conflit.

Ostensiblement les collaborations apolitiques substituent de fait la lutte nécessaire à l’obtention d’une paix juste et durable par des gestes transitoires et superficiels de paix.

Moyennant quoi, ils ne peuvent servir la cause de la paix. Des relations normales entre les peuples ne peuvent s’épanouir que lorsque l’oppression a pris fin, pas avant et nullement en prélude. De notre point de vue, les seuls projets communs qu’on devrait encourager pour s’attaquer à l’injustice sont ceux qui permettent de résister à cette injustice.

A tout le moins un projet commun sincère doit fondamentalement se baser sur les principes d’égalité et sur le rejet de l‘occupation militaire et de la discrimination raciale.

Malheureusement, deux éléments essentiels sont d’évidence absents du projet de l’IPSO et de l’appui que vous y apportez. Le soutien de l’UNESCO à l’IPSO légitimise dès lors la volonté de transmettre une fausse perception de coexistence pacifique et de coopération scientifique, possibles en dépit de l‘oppression, au lieu de soutenir tous les efforts pour faire finir cette oppression.

L’appel de PACBI au boycott universitaire et culturel d’Israël repose spécifiquement sur l’oppression systématique et continuel du peuple palestinien par Israël, oppression qui s’établit à partir de trois principes de base : • occupation illégale par Israël des territoires palestiniens ; • système israélien de discrimination raciale à l’endroit de ses citoyens palestiniens ; • et déni par Israël du droit des réfugiés palestiniens à retourner chez eux et sur leurs propriétés, en contravention avec les résolutions des Nations Unies.

Appeler à des sanction en de telles circonstances est loin d’être l’apanage des Palestiniens. Au cours de la loi d’Apartheid en Afrique du Sud, les Nations Unies ont mis sur pied un système de sanctions qui ont fini par y détruire le régime raciste et ont permis de créer un régime démocratique. Les scientifiques, les athlètes, les artistes, les universitaires et les hommes d’affaires sud-africains avaient tous été sujets à boycott.

Comme nous le savons tous, l’UNESCO a joué un rôle éminent et largement salué en soutenant des sanctions et autres formes de boycott contre l’Afrique du Sud de l’Apartheid en organisant pas moins de huit conférences et séminaires internationaux et en abordant toute une série de sujets, comme la "solidarité", "la résistance contre l’occupation", "l’oppression et l’apartheid", "le boycott des sports", "les sanctions contre l’Afrique du Sud raciste" et "les besoins en éducation des victimes de l’Apartheid".

L’événement le plus significatif dans le déclenchement de sanctions, dans ce cas, fut l’opinion de la Cour Internationale de Justice (ICJ) émise à titre consultatif en 1971 décrétant illégale l’occupation de la Namibie par l’Afrique du Sud.

Quand la Cour Internationale de Justice a émis la même opinion consultative le 9 juillet 2004 condamnant le mur colonial d’Israël et tout le régime d’occupation comme violant la loi internationale, les Palestiniens, les Arabes et évidemment tous ceux qui aiment la paix sur la terre ont vraiment espéré que les Nations Unies et leurs institutions prendraient sanctions appropriées contre Israël pour l’amener à respecter les résolutions des Nations Unies.

Des leaders d’opinion et des organisations ayant une conscience ont donné leur accord à différentes formes de mesures.

Le leader des Droits de l’Homme et Prix Nobel de la Paix, l’archevêque émérite Desmond Tutu, a récemment montré les similitudes entre Israël et l’Afrique du Sud de l’Apartheid, appelant au boycott contre celui-ci comme celui qui avait été appliqué à celle-là.

La semaine dernière, le Conseil Mondial des Eglises a demandé à ses membres « d’accorder une grande considération aux mesures économiques » contre Israël pour mettre fin à l’occupation israélienne des territoires palestiniens.

Le Conseil a aussi apprécié l’action de l’Eglise Presbytérienne des Etats-Unis qui a entamé un processus de « désinvestissement sélectif » de compagnies liées à l’occupation illégale israélienne.

Plusieurs universités des Etats-Unis et d’Europe se sont mises aussi à penser à se désinvestir d’Israël ou à appliquer des boycotts sélectifs contre ses institutions.

Des célébrités et des Membres du Parlement anglais ont lancé une campagne contre le mur colonial d’Israël et certains ont été jusqu’à demander des sanctions inconditionnelles contre Israël.

Malheureusement des organisations des Nations-Unies préfèrent ignorer ou minorer la gravité de « l’occupation, de l’oppression et de l’Apartheid » israéliens, et par là encouragent ses dénis de la loi internationale.

Le soutien de l’UNESCO à des projets communs Palestino-Israélien qui ignore complètement la réalité de l’occupation et de l’oppression sur le terrain, est par conséquent inexplicable et décevant.

Puisque les institutions universitaires (pour la plupart contrôlées par l’Etat) et la grande majorité des scientifiques et des universitaires israéliens ont ou bien contribué directement à maintenir, défendre ou justifier l’oppression des Palestiniens par l’Etat, ou bien ont été, par leur silence, complices de cette oppression.

Nous pensons que la communauté internationale, conduite par les Nations-Unies et ses organisations devraient appeler aux boycotts et aux sanctions contre les universitaires et les institutions israéliens

Dans l’esprit de la solidarité internationale, de la cohérence morale et de la résistance à l’injustice, nous, universitaires et intellectuels Palestinien, appelons l’UNESCO à retirer immédiatement son soutien à l’IPSO et autres efforts similaires qui aident et coopérent ou mettent en avant les scientifiques israéliens ou les institutions culturelles israéliennes jusqu’à ce qu’Israël renonce à violer les droits de l’homme des Palestiniens et se conforme pleinement aux préceptes pertinents de la loi internationale et des résolutions des Nations Unies

Sincèrement

Omar Barghouti, chercheur indépendant et chorégraphe ; membre fondateur de la Campagne palestinienne pour le coycott universitaire et culturel d’Israël.

Dr. Jacqueline Sfeir, éducatrice - Membre de l’Advisory Board of Palestinian Campagne for the Academic and Cultural Boycott of Israel - (PACBI) : info@BoycottIsrael.ps