Stérilité de Charm al-Shaïkh par J. Abu-Yussef

Stérilité de Charm al-Shaïkh

par Jamalat Abu Yussef

Février 2005

jamalat-s.abuyusef@laposte.net

En des mots semblables à la prière formulée par quelqu’un nullement assuré que son vœu sera exaucé, cette vieille femme d’un âge uniquement fait d’années de malheur a dit qu’elle souhaitait que l’un de ses fils se trouve parmi les neuf cent prisonniers qu’Israël a promis de libérer, sur les huit mille Palestiniens qu’il détient aujourd’hui. Elle a dit aussi qu’elle souhaitait que la paix arrive et que cesse le cycle de la violence : c’est un peu comme si elle disait : " je vous en supplie, libérez mon fils ; nous ne voulons plus combattre quiconque désormais et, d’avance, soyez en remerciés de ma part ! "

Il y a huit mille cas semblables à celui-ci, qui attendent le tirage au sort des neuf cents, réduits à quatre cents, après quoi viendront les autres. Quand ? nul ne sait, et il faudra attendre la " générosité israélienne ", tandis que les huit mille prisonniers élèvent la voix, exigeant d’une manière collective la libération de tous, peut-être en plusieurs fois, mais en fonction d’un calendrier à court terme.

De même qu’ils exigeaient que cette question soit traitée AVANT la tenue du sommet de Charm al-Shaïkh, car ils considéraient inadmissible la tenue de ce sommet sans que leur dossier n’ait été examiné et traité à fond.

La réponse à cette exigence fut un coup de poignard dans le dos, une négation de leur combat et de leurs souffrances.

Sa’ib Ereïqat, négociateur spécialiste ès art du possible, répondit qu’il avait étudié avec les Israéliens la libération de plus de trois cent prisonniers palestiniens parmi les plus anciens mais que cela n’était pas possible à cause du refus israélien.

C’est ainsi que la discussion fut renvoyée au lendemain du sommet de Charm al-Shaïkh, pour ne pas ternir l’image de son succès programmé ! Ereïqat a même ajouté peu après que l’étude de la libération d’un groupe de prisonniers après la tenue du sommet serait à compter au nombre de ses succès !

L’expansion des colonies continue, les superficies de terres palestiniennes confisquées s’étendent, la construction du mur et des barrières se poursuit, et on annonce l’intention de détruire un quartier palestinien à Jérusalem, près du mur, tandis que près de 130 000 Israéliens descendent dans la rue pour manifester à Jérusalem, le 30 janvier dernier, afin d’exiger le non-retrait de la bande de Gaza. En fait, cette manifestation servait à réaffirmer le caractère de colonie de peuplement de l’Etat israélien et qu’il n’y a pas de place pour la négociation au sujet des colonies, qui sont une des constantes intangibles d’Israël.

Salam Fayyadh, qui dépeint sans l’enjoliver la situation financière de l’Autorité (palestinienne), a déclaré qu’il existe un énorme déficit dans le budget. Voilà pourquoi les fonctionnaires de l’Autorité, dont le nombre dépasse les cent soixante-dix mille, employés dans le secteur public (administration + services de sécurité) devront désormais attendre indéfiniment la moindre augmentation de leur traitement qui n’a pas évolué depuis le début de la mise en application de l’accord d’Oslo. Abu Mazen ne sera pas en mesure de donner suite à la promesse qu’il a faite aux fonctionnaires palestiniens à ce sujet, à la veille des élections.

Quant au ministre palestinien de la Santé, il vient de prendre un décret interdisant d’aller se faire soigner à l’étranger. Conséquence : les soins que les hôpitaux palestiniens ne peuvent assurer, tels ceux nécessités par les cancers, les maladies cardiaques, toutes les affections graves, ne pourront pas être recherchés hors des " territoires. "

Ainsi, des milliers de malades palestiniens seront privés de soins, parce qu’ils sont pauvres, comme la majorité du peuple palestinien. En effet, les coûts des soins à l’étranger sont exorbitants. Cette situation a-t-elle empêché " George W. Bush Second " de dormir, lui qui a promis de " soutenir l’Autorité palestinienne en lui versant l’équivalent de 350 millions de dollars ? Bien entendu, ce soutien financier sera apporté à tempérament, sur un rythme confortablement lent. Les dernières nouvelles qui nous parviennent concernent sa décision de rogner cette somme de 50 millions de dollars, au profit... d’Israël ! Va-t-il tenir promesse, ou va-t-il continuer à déshabiller l’Autorité pour habiller plus chaudement Israël ?

Les Israéliens ont promis aux négociateurs palestiniens dirigés par Muhammad Dahlan qu’ils se retireraient de quatre villes palestiniennes.

Il en fût beaucoup question avant la tenue du sommet de Charm al-Shaïkh, mais finalement, comme pour les prisonniers, la mise en œuvre en a été reportée à après.

Pour un Palestinien ordinaire qui habite dans une de ces villes, ce retrait a déjà eu lieu et il n’en est plus besoin, sauf lors des incursions de l’armée israélienne - qui peuvent survenir à tout instant, à la vitesse de l’éclair - et que personne n’a pu et ne pourra empêcher.

Mais pour l’immense majorité des habitants le problème est le suivant : il y a plus de sept cent barrages israéliens, répartis aux entrées de toutes les villes et de tous les villages palestiniens. Ces barrages cernent et entravent toutes les nécessités de la vie et tous les déplacements. Or, les Israéliens n’ont fait aucune promesse de supprimer le moindre de ces barrages, contrairement à ce qu’ont laissé entendre les promesses prodiguées au moment des élections présidentielles palestiniennes.

Bien entendu, l’exigence que cet état de siège raciste soit levé n’est pas la seule revendication du peuple palestinien, victime du projet colonial en terre de Palestine.

En ce qui concerne l’autodétermination confisquée du peuple palestinien, George W. Bush II a déclaré que " l’Etat de Palestine est à portée de main " Il a fait cette déclaration après qu’Abu Mazen soit devenu le président de l’Autorité. Mais il a affirmé qu’elle ne serait effective qu’en 2009. Georges Bush avait déjà pris cet engagement lors du lancement de la " feuille de route...

Pourquoi n’a-t-il pas alors tenu sa promesse et pourquoi la tiendrait-il maintenant ?

Les commentaires israéliens relatifs aux résultats obtenus par Abou Mazen dans le domaine de " la lutte contre le terrorisme ", sont encore contradictoires.

Mais Abou Mazen a confiance en lui et en ce qu’il fait allant dans le sens du maintien de la sécurité.

Aussi a-t-il décidé, au début de ce mois, de proclamer son intention d’obtenir une trêve, et il a commencé à déployer des forces de sécurité palestiniennes tout au long des frontières de la bande de Gaza, qui ont pour mission d’empêcher les tirs de roquettes et d’empêcher toute tentative de porter atteinte à la sécurité israélienne. Bien entendu, les expectatives d’Israël et de l’Amérique au sujet d’Abou Mazen ne se limitent pas à ça : ce qu’ils attendent lui a été signifié par C Rice avant la rencontre et par Sharon lors du " sommet ".

Ce sommet, qui a voulu donner l’impression d’une étape vers la paix, représentait en fait un pas qualitatif sur la voie de l’édification du nouveau Moyen-Orient sous contrôle israélien. Il a aussi permis de préciser les conditions auxquelles les Etats arabes devront satisfaire s’ils veulent être appréciés par l’Amérique, au premier rang desquelles l’aide qu’ils devront apporter à Israël afin de trouver une solution à son " problème " avec le peuple palestinien.

Maintenant, Abou Mazen et son équipe " exigeront " d’Israël qu’il continue à améliorer les conditions de vie d’un peuple palestinien assiégé dans ses bantoustans, en échange du rôle joué par les services de sécurité de l’Autorité en matière de répression de toute forme de résistance chez le peuple palestinien.

On tentera de créer l’illusion d’une réciprocité, notamment en relâchant un nombre très modeste de prisonniers, en ouvrant le marché du travail (israélien) à un petit nombre de travailleurs palestiniens, en fonction des besoins de ce marché du travail, sans parler de quelques autres concessions qui ne mangent pas de pain. Au passage, mentionnons que cette idée de " récompenses réciproques " " a été abondamment développée par les dirigeants de l’Autorité palestinienne depuis la disparition d’Arafat.

On parle abondamment d’une nouvelle occasion pour la paix dans la région, dans une ambiance de joie et avec une présence renouvelée de la direction palestinienne, porteuse d’un programme différent de celui de l’époque de la révolution et des programmes de libération.

Ce tapage s’appuie, par ailleurs, sur la vive aspiration au calme des habitants de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, ce désir de " hudnah ", la trêve.

Bien entendu, tout ce tapage bruyamment enjoué autour d’une nouvelle occasion de paix ne vise qu’à une chose : tromper l’opinion publique et l’égarer.

Mais chacun doit comprendre qu’au-delà du besoin immédiat de " trêve ", le plus vif désir du peuple palestinien - où qu’il se trouve - est de se débarrasser de tous les aspects de l’oppression et de l’injustice auxquels il est soumis, et que ce souhait ne se réalisera pas grâce au programme d’Abou Mazen, ni à ses hommes, connus pour appartenir à la mafia de la corruption.

Cette aspiration intense est porteuse du souhait que ne se renouvellent pas les expériences passées et exige qu’il soit procédé à une estimation exhaustive et à une évaluation objective de l’ensemble de ces expériences, ceci afin de mettre sur pied un programme alternatif, le programme de la résistance et de la direction du combat en vue de la réalisation des objectifs consistant en l’imposition du droit à l’autodétermination, dont on ne saurait séparer le droit au retour des réfugiés palestiniens chez eux.

De même, où qu’il vive, où qu’il formule et peaufine son programme de résistance, le Palestinien a besoin d’un programme arabe alternatif à celui de Charm al-Shaïkh, ainsi qu’à tous les autres projets frappés au coin du capitalisme colonialiste, car le peuple palestinien tout seul, de même que le peuple irakien tout seul, ne pourront pas affronter cette offensive qui vise à faire table rase des obstacles au pillage impérialiste des richesses qui appartiennent aux peuples arabes.