Mensonges sur l’Irak

L’histoire risque de se montrer sévère lorsqu’elle se penchera sur la politique de George W. Bush à l’égard de l’Irak. Peut-être réussira-t-il à pacifier et à stabiliser ce pays, même si, sur le terrain, la situation n’incite guère à l’optimisme.

Mais il aura réussi à diviser durablement ses alliés et à ternir l’image de son pays.

Plus grave encore pour sa crédibilité, le rapport intermédiaire rendu public, mercredi 16 juin, par la commission d’enquête paritaire du Sénat a démoli sans appel le second des arguments avec lesquels le président américain avait justifié sa guerre contre Saddam Hussein : sa connivence supposée avec Oussama Ben Laden et Al-Qaida. On se souvient que les affirmations de la Maison Blanche, reprises par ses alliés de l’époque - en premier lieu par Tony Blair - selon lesquelles le régime de Bagdad disposait d’armes de destruction massive et qu’il était prêt à les utiliser n’ont jamais pu être prouvées.

Les conclusions de la commission, qui n’a trouvé "aucune preuve crédible d’une collaboration entre le régime de Saddam Hussein et Al-Qaida pour attaquer les Etats-Unis", ont d’autant plus de poids qu’elles n’auraient pu être adoptées sans l’accord de membres républicains de la commission. Elles s’inscrivent en faux contre les assertions répétées du vice-président Dick Cheney sur de prétendus "liens de longue date" et contre l’argumentation utilisée par M. Bush pour convaincre ses compatriotes de la justesse de cette guerre.

L’argument de la connivence Saddam-Ben Laden apparaît donc pour le moins controuvé. Il avait pourtant eu un immense impact aux Etats-Unis au point d’être cru par près d’un Américain sur deux. Le réveil de l’opinion risque d’être brutal à cinq mois de la prochaine présidentielle. John Kerry, le candidat démocrate, qui avait soutenu la guerre à son début, en a profité pour accuser son rival d’avoir "trompé" le peuple américain. Cela lui suffira-t-il pour l’emporter ?

Les arguments de M. Bush ayant fait la preuve de leur inanité, on est porté à se demander s’il a menti, emporté par une stratégie belliciste contre un Saddam Hussein dont il avait fait son ennemi numéro un avant même d’entrer à la Maison Blanche. Ou bien s’il a enrobé sa politique sous un emballage "vendable" à une opinion traumatisée par les attentats du 11 Septembre. Ce serait plus grave encore si, comme ne l’exclut pas le New York Times, "il savait qu’il ne disait pas la vérité ou s’il avait une capacité à s’auto-illusionner pour des raisons politiques, ce qui serait terrifiant dans le monde de l’après-11 Septembre".

Le résultat de tout cela est une Amérique décrédibilisée et une vague sans précédent de haine dans le monde musulman. Mais surtout, et c’est beaucoup plus inexcusable, cette guerre sans justifications légales ou factuelles a détourné le monde d’une tâche bien plus cruciale : la vraie guerre contre le terrorisme.

Ben Laden court toujours, Al-Qaida a essaimé comme une métastase à travers un univers qui est encore moins sûr aujourd’hui qu’il ne l’était hier.

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU MONDE DU 18.06.04