Dans la situation actuelle, les débats sur les liens entre nos différents combats sont rares et me semblent particulièrement importants à avoir en ce moment. je vous envoie donc ce texte d’une intervention que j’ai faite à Montpellier lors d’une réunion contre la guerre pour essayer d’engager une discussion sur ces thèmes avec le mouvement de solidarité avec la Palestine. Les difficultés que nous rencontrons dans la mobilisation et nos formes de luttes nous obligent peut-être à une reflexion plus générale sur ces sujets.
amitiés à toutes et tous anne-marie
Je reviens de Palestine où j’ai participé au titre du « collectif féministes pour l’égalité » à une mission syndicaliste et associative dans le cadre de la campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien. Syndicalistes, salariés, chômeurs, paysans et travailleurs précaires, nous étions 52 militantes et militants invité(e)s dans les territoires occupés pendant deux semaines par les syndicats ouvriers et paysans palestiniens à l’occasion du 1er mai, pour échanger nos expériences, évaluer les convergences de nos luttes et témoigner notre solidarité avec la résistance palestinienne. Nous avons été par petits groupes à Bethléem, Hébron, Ramallah, Tulkarem, Naplouse et Jenine. Tous nous avons été témoins de l’occupation sauvage et inhumaine qu’impose l’état israélien au peuple palestinien. Puis nous nous tous sommes retrouvés à Qalqilya pour manifester contre le mur, qui mange peu à peu la terre palestinienne, emprisonne tout un peuple, sépare le paysan de sa terre, les enfants de leur école, les malades de l’hôpital et empêche les familles de se retrouver. A Ramallah nous avons défilé le 1er mai pour exprimer notre solidarité avec les travailleurs palestiniens dans leur lutte contre l’occupation et la reconnaissance de leurs droits politiques et syndicaux au sein même de la société palestinienne.
En Palestine comme ailleurs dans le monde la globalisation fait son ouvrage et la bataille que mènent les syndicats démocratiques au sein des entreprises privées et publiques est une garantie et une preuve supplémentaire de la force de la résistance du peuple palestinien et sa profonde foi en l’avenir, malgré les terribles épreuves qu’il traverse en ce moment. Car Jamais les palestiniens n’ont autant soufferts qu’aujourd’hui, jamais l’occupation n’a été aussi brutale et meurtrière, jamais l’apartheid n’a été aussi présent, jamais une solution négociée n’a été aussi éloignée. Aujourd’hui le dialogue et les négociations ne sont plus à l’ordre du jour, comme Bush le fait au niveau mondial, Sharon est passé a des décisions unilatérales, plan de retrait de Gaza, construction du mur qui lui permet de réaliser petit à petit, ce qu’il déclarait dès son élection en 2001 : il faut terminer 48 c’est-à-dire poursuivre la colonisation et limiter la Palestine à une série de Bantoustan sur 45% de la Cisjordanie, après avoir liquidé toute forme de direction politique au sein de la société palestinienne, et tenter de briser toute forme de résistance.
La Palestine est au cœur des enjeux internationaux aujourd’hui. Nous devons mesurer sa place et son rôle dans les projets de Bush et des puissances qui sont en train de mettre le monde sous contrôle. Israël est aujourd’hui la tête de pont de ces forces et son gouvernement met en œuvre la politique que veut imposer Bush au monde entier. Car en Palestine, nous retrouvons non seulement la domination capitaliste par une puissance économique et militaire, mais aussi la lutte idéologique qui cherche à opposer des manières de vivre et de penser en mettant en place un système d’apartheid aussi bien à l’intérieur de l’état d’Israël qu’en Palestine.
Le mur de l’apartheid c’est un mur de béton et de barbelé mais c’est aussi un mur de silence. Silence qui a permis les massacres de Jenine en 2002 et couvre aujourd’hui ceux de Rafah. Des dizaines de morts, des centaines de bléssés et de maisons détruites en oins d’une semaine, pour détruire des tunnels qui permettent de faire entrer quelques armes disent-ils. Mais pourquoi les Palestiniens n’auraient-ils pas le droit de s’armer et de se défendre. Ils ont devant eux la quatrième armée du monde et on leur dénie le droit de se défendre. Chaque arme qui entre en Palestine est présenté comme un acte de terrorisme, chaque soldats israélien tué lors d’une offensive de l’armée contre un quartier civil de Gaza est un acte terroriste, chaque colon tué sur des terres occupées est un acte terroriste, chaque résistance à l’occupation est un acte terroriste. Et en face, un missile tombant au milieu d’une manifestation pacifiste, est un acte de défense, un F16 détruisant une usine de médicament est un acte de défense, un bulldozer qui abat une maison sur ses habitants est un acte de défense, un char qui tire sur des enfants est un acte de défense.
Alors nous devons nous élever contre la campagne qui consiste à manipuler les opinions publiques en présentant le conflit en Palestine sous le thème de la symétrie en mettant au même niveau, le colonisateur et le colonisé, l’oppresseur et l’opprimé, l’occupant et l’occupé. Non, il n’y a pas de symétrie, l’occupation de la Palestine est illégale et contraire au droit international, la résistance du peuple palestinien est l’_expression d’un droit inaliénable de tous les peuples, celui de se battre pour sa libération et son autodétermination.
Mais les palestiniens ne baissent pas les bras. Pendant ces quelques jours nous avons vu leur résistance quotidienne. Malgré des conditions de vie extrêmement difficiles, ils continuent à construire des structures syndicales et associatives qui sont des messages d’espoir pour tous ceux qui luttent contre les murs qui s’érigent dans le monde.
Nous avons rencontré des travailleurs palestiniens qui se battent tous les jours contre l’occupation et la colonisation mais qui se battent aussi contre leurs conditions de travail et l’exploitation qu’ils subissent en tant que travailleurs. En Palestine les combats sont liés, Quand un travailleurs municipal ne peut pas assurer son service de ramassage d’ordures parce que le check point est fermé et empêche les bennes de passer, il devient très difficile de se battre sur les horaires et les conditions de travail.
Nous avons rencontré les femmes du syndicat du textile de Tulkarem (plus de 400 adhérentes). Elles nous ont décrit comment la construction du mur et l’occupation aggravaient leur condition de travail et compliquaient leur lutte syndicale. Un chômage très important (70%) laisse les mains libres aux patrons pour empêcher toutes manifestations et revendications au sein des entreprises, trouver de la main d’œuvre de remplacement n’étant pas un problème. Les conditions de travail sont très dures, avec notamment des horaires de travail non respectés à cause de l’occupation ; la législation mise en place en 2000 qui présentait des avancées pour le droit des femmes gagnées par leur forte mobilisation durant la première Intifada est aujourd’hui très peu ou pas appliquées A tout ceci s’ajoute pour les femmes les discriminations spécifiques harcèlement sexuel, violences et viol. L’humiliation quotidienne infligée aux palestiniens, le chômage et le sentiment d’impuissance ont des répercussions au sein des familles et les femmes en sont souvent les premières victimes. L’association des femmes travailleuses de Ramallah travaille pour ouvrir un lieu d’accueil pour les femmes victimes de violences sexuelles et se bat pour faire voter une loi contre les violences faites aux femmes.
Nous avons à apprendre nous, femmes françaises, des femmes palestiniennes et de la puissance de leur combat qui est à la mesure des forces hostiles qu’elles affrontent. Travailler avec elles sur les formes de lutte, de résistance nous pousse à ne pas nous reposer ici en France sur nos acquis qui pourraient bien être emportés dans la grande opération de casse sociale et idéologique qui déferle aujourd’hui. Mais si nos combats sont les mêmes, nos chemins sont différents. Chaque femme cherche sa voie vers l’émancipation en fonction de ses choix propres, de sa culture, de ses convictions religieuses ou non, que ce soit au sein d’une même société où à travers le monde. Notre force réside dans notre combat commun et les diverses manières de le mener. Et c’est cette diversité qui est la garantie de notre efficacité car nous avons face à nous, une force qui utilise la guerre, l’oppression sociale, sexiste et politique pour asseoir son pouvoir et instaurer, ainsi, une seule manière de vivre, de travailler, et surtout une seule manière de se taire.
Cette guerre imposée au peuple palestinien est pour Sharon et l’état israélien un système de gouvernement qui sert en quelque sorte de laboratoire expérimental pour les visées de Bush et sa vision bipolaire du monde. En Israël et en Palestine, vivre ensemble est un enjeu fondamental. Il existe une association israélo-palestinienne qui se nomme Taayush, Taayush cela signifie « vivre ensemble », ensemble ils se battent contre l’occupation, la colonisation et le mur de l’apartheid. Ce mur de l’apartheid qui sépare les peuples et enferme les palestiniens vous ne pouvez pas y échapper côté palestinien. Quand vous arrivez à Abu Dis à Jérusalem, 8 mètres de béton vous saute à la figure au détour d’un virage. Mais vous savez, du côté israélien, ils ont commencé à sculpter le paysage, fabriqué des monticules de terre jusqu’au sommet du mur, planté de l’herbe et des arbres et afin ne plus le voir. Il devient une partie du paysage et peu à peu disparaît.
Nous ne devons pas faire de même ici en France. Les murs qu’ils sont en train de construire entre nous, nous devons les mettre à jour, les dénoncer. Nous ne pouvons pas accepter un monde où l’on veut nous imposer la guerre comme système de gouvernement et la lutte contre le terrorisme comme idéologie. Depuis maintenant quelques années, le gouvernement est entré dans une logique sécuritaire et met en place une politique de casse sociale qui, comme au niveau international, tend à désigner un ennemi et entretenir un climat de peur.
Le collectif féministe pour l’égalité que nous avons créé à la suite du débat sur la laïcité, est né de la volonté de briser ce mur que l’ensemble de la classe politique a voulu ériger entre nous. Nous sommes des femmes de toutes cultures, croyantes ou non, portant un foulard ou non, et sommes confrontés tous les jours à nos différences, à nos divergences parfois. Et c’est bien là que nous pouvons réfléchir et construire une autre manière de lutter et d’être ensemble.
Ces derniers mois, la cause des femmes a été instrumentalisée, Nous avons vu tout d’un coup la quasi-totalité de la classe politique se découvrir des vertus féministes pour dénoncer le foulard islamique comme un signe d’oppression des femmes. Nous avons et continuons de dénoncer cette manipulation médiatique et politique et affirmer que l’émancipation des femmes se conquiert par les luttes pour leurs droits et pas par des lois d’exclusion.
En faisant du port du foulard à l’école une sorte de délit la loi renforce la place faite à une partie de la population française celle issue de l’immigration du Maghreb, une place à l’écart, à part en raison de sa culture et de ses choix religieux. Et il n’est pas un hasard que cette partie de la population française soit celle qui subit depuis plusieurs décennies une discrimination flagrante et continue.
Le passé colonial de la France et l’incapacité de notre société à le prendre en compte est un des éléments constitutifs de ces discriminations et les orientations des puissances internationales visant à diaboliser les musulmans en les désignant comme des terroristes potentiels ne viennent que renforcer la division et la séparation et rendre plus difficile la vie ensemble dans toutes les sociétés
Se battre ensemble pour vivre ensemble est notre seule garantie pour éviter de voir la guerre s’installer partout et les démarches réactionnaires et intégristes prendre de plus en plus de place. Aujourd’hui, les risques « communautaristes » me semblent être surtout du côté de ceux qui défendent une France bien lisse, bien propre et bien assise sur des principes faussement laïques arrimés à une société divisée entre ceux qui ont les richesses et ceux qui sont sans droits, sans papiers, sans travail, sans parole, et sans toits. Et c’est en oubliant de dénoncer toutes les dérives de ce communautarisme qui ne dit pas son nom que l’on favorise et qu’on laisse la place aux groupuscules fascistes d’extrême droite et intégrismes réactionnaires religieux ou non. Le terrorisme est un effet tragique de cette fracture du monde et le combattre sans avoir au préalable compris et dénoncer les logiques qui le produisent ne fait que l’alimenter tous les jours un peu plus.
Si la guerre froide est terminée, une guerre chaude est en marche, elle brûle en Palestine, en Irak et en Tchétchénie, mais elle est en train de prendre ici en Europe, Alors nous appelons tous ceux qui se battent contre cette guerre mondialisée à la résistance car la résistance est le seul gage de notre existence.
Anne-Marie Camps, réunion contre la guerre, Montpellier, 27 mai 2004